Ces hommes et ces femmes venus d´ailleurs qui ont enrichi notre patrimoine

Ces hommes et ces femmes venus d´ailleurs qui ont enrichi notre patrimoine

Ces hommes et ces femmes venus d´ailleurs qui ont enrichi notre patrimoine

Dans un ouvrage intitulé „Comment je suis devenu français” (1), la journaliste et écrivain Jacqueline Remy a recueilli les témoignages de vingt personnalités d´origine étrangère qui, non seulement ont acquis la nationalité française, mais aussi et surtout assument pleinement leur „francité”. Et ce dans tous les domaines, de Jane Birkin à Sylvie Vartan en passant par François Cheng, le pédiatre Aldo Naouri, la femme politique Safia Otokoré („Tous les pays démocratiques sont français”) ou encore l´ancienne Secrétaire d´État Rama Yade-Zimet. Et nous pourrions en rajouter mille autres, tel notre ami regretté, le journaliste Thomas Schreiber, né à Budapest, qui a intitulé ses mémoires „J´ai choisi la France”. Toutefois, notre propos n´est pas ici d´en dresser la liste, mais bien plutôt de tenter d´apprécier ce que les uns, les unes et les autres ont apporté à notre patrimoine culturel.

A commencer par celles et ceux qui ont choisi d´exprimer leur art dans notre langue : écrivains, poètes et dramaturges. Ils sont kyrielle et chacun en aura plus d´un nom à l´esprit. Nous citerons en premier Romain Gary pour sa merveilleuse phrase : « Je n’ai pas une goutte de sang français mais la France coule dans mes veines”. Né en Lituanie, Romain Gary (alias Émile Ajart...) est arrivé en France à l´âge de quatorze ans. Compagnon de la Libération, écrivain et diplomate, ce grand gaulliste, ancien résistant, figure sans conteste parmi les grands écrivains de l´après-guerre. Son nom a été donné à une promotion de l´ENA et à une place de Paris. Egalement né dans l’empire russe, Henri Troyat, de trois ans son aîné, figure également parmi les grands noms de la littérature de l´après-guerre. Écrivain prolixe – mais de grande qualité –, nous lui devons non seulement de nombreuses biographies qui ont fait sa popularité, mais aussi de remarquables romans et suites romanesques. Élu en 1959 à l´Académie française, Henri Troyat était Grand-Croix de la Légion d´Honneur. Pour rester à l´Est, parmi ceux qui nous ont quittés, nous vient également en tête le nom d´Eugène Ionesco. Écrivain et dramaturge, considéré comme le père du théâtre de l´absurde. Autre grand nom, qui nous est venu d´Argentine, Joseph Kessel, né en 1898. Tout comme Romain Gary, gaulliste et résistant, il fut aviateur lors de la Première Guerre. Grand Officier de la Légion d´Honneur, académicien. Oncle de Maurice Druon avec qui il rédigea les paroles du Chant des Partisans. Également venu du continent (nord)américain, Julien Green, premier étranger reçu à l´Académie française. Tous les cinq grosso modo d´une même génération. Bien sûr, nous en oublions bien d´autres, mais peut-être serait-il plus à propos de nous tourner vers les écrivains contemporains.

A commencer par Andrei Makine et le poète François Cheng, membre de l´Académie française. Mais aussi le franco-libanais Amin Maalouf, le poète et critique littéraire, prix Goncourt et académicien Michael Edwards ou encore le diplomate italien Maurizio Serra. Et encore l´Américain Jonathan Littell pour son chef d´œuvre „Les Bienveillantes„. Sans oublier la Hongroise Christine Arnothy, Prix interallié, avec entre autres son émouvant bestseller autobiographique „J´ai quinze ans et je ne veux pas mourir”. Venus d´horizons différents et se produisant dans des genres et styles différents, mais tous unis par un même amour de notre langue qu´ils manient avec le plus grand art. (2)

Nous pourrions ainsi continuer à l´infini. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir enrichi notre patrimoine. Dans un tout autre genre, nous pourrions citer les photographes hongrois BrassaÏ et Robert Capa ou encore les sculpteurs Pierre Székely (lui aussi hongrois) et Giacometti qui, bien que resté Suisse, s´est produit en France où il a assidument fréquenté les cercles littéraires et artistiques... Et les peintres Modigliani et Foujita. Sans oublier la musique, avec Lully, cet Italien créateur de l´opéra français ou Offenbach, coqueluche du tout Paris. Ou encore Cherubini, tant admiré de Beethoven, qui fut directeur du Conservatoire, figure incontournable de la Révolution et de la Restauration. Et, plus près de nous, le compositeur d´origine grecque (né en Roumanie) Iannis Xenakis. Bien que n´ayant pas directement pris part à la création musicale, nous ne saurions passer sous silence le nom de Georges (György) Cziffra qui, avec sa Fondation de Senlis et l´empreinte par laquelle il a marqué notre vie musicale, a lui aussi apporté sa pierre à notre patrimoine. Dans un autre genre, nous pourrions encore citer le Hongrois Joseph Kosma („Les feuilles mortes”) et son homonyme roumain Wladimir Cosma (musiques de films). Plus près de nous, l´architecte américain d´origine chinoise I. Pei (décédé en mai dernier) avec la pyramide du Louvre, icône incontournable du paysage parisien. Un que nous avons volontairement laissé de côté : Picasso. Pourtant personnage clé de la vie artistique parisienne qui a marqué tout le XXème siècle, mais qui dépasse largement notre cadre national pour s´inscrire dans le patrimoine universel de l´art. Même remarque pour Vincent van Gogh. (3)

D´autres, comme eux, ont choisi de s´établir tôt ou tard en France, mais sont néanmoins restés profondément attachés à leur langue et à leur patrie d´origine : les on-ne-peut-plus-polonais Chopin et Mickiewicz, le Russe Tourgueniev ou encore les Italiens Paisiello (protégé de Napoléon), Bellini et Rossini. Encore que ce dernier, personnage central de la vie parisienne, nous a laissé quelques opéras „français”, mais est resté malgré tout très „italien”. (4)

Sans penser trop me tromper, je ne connais guère de cas semblables dans d´autres pays, du moins à ce point (sinon peut-être aux États-Unis). Certes, le poète national hongrois Petőfi était né Petrovics de père d´origine serbe ou slovaque et de mère slovaque, le compositeur d´opéras napolitains Martin y Soler était espagnol ou encore Franz Lehár, le roi de l´opérette viennoise, était et est resté hongrois.... Mais il s´agit plutôt de cas relativement isolés sans comparaison avec ce flux d´artistes et écrivains qu´a attiré et que continue d´attirer notre pays.

Pour conclure sur une note optimiste, n´en déplaise aux défaitistes qui déplorent le prétendu déclin de notre culture, la contribution de ces femmes, de ces hommes venus d´ailleurs est là pour nous rassurer et démentir les alarmistes.

Nous leur devons une bonne part de reconnaissance…

Pierre Waline

(1): éditions du Seuil, 2007

(2): ayant écrit dans sa langue maternelle, mais personnage central de la vie parisienne: Ernest Hemingway mérite bien ici une mention comme „Parisien d´adoption”.

(3): nous faisons ici l´impasse sur le monde des variétés, du théâtre et du cinéma qui nous mènerait trop loin, d´Elvire Popesco â Romy Schneider, d´Yves Montant à  Nana Mouskouri.

(4): nous pourrions encore citer ces poètes et artistes hongrois qui effectuèrent des séjours prolongés en France (Endre Ady, Attila József ou encore le peintre László Paál, de l´École de Barbizon)

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