Edito
Un scénario en boucle ?
Les élections présidentielles françaises
Les élections présidentielles françaises, des 10 et le 24 avril, ont été en quelque sorte une réédition ou un « remake » des élections de 2017, mais aussi de 2002. Un premier tour qui confirme en effet la montée en puissance de l’extrême droite, suivi d’un deuxième tour qui reconduit le président sortant. Toutefois, des divergences apparaissent, parce qu’en 20 ans la société et l’électorat français ont évolué et que les partis historiques de gauche comme de droite affichent une sérieuse dégringolade.
Certains d’entre vous se souviennent peut-être de ce film des années 90 « un jour sans fin » *. Le scénario est assez intriguant car il repose sur une histoire qui se répète interminablement, la journée d’un journaliste en mission qui tourne en boucle, une boucle temporelle où chaque jour se ressemble, mais se nuance. A chaque journée qui recommence, le journaliste oscille en effet entre surprise, incompréhension, résistance, résignation, pour au final devenir une meilleure version de lui-même.
Ce film m’est revenu en mémoire au cours de cette dernière période électorale. Lorsqu’au premier tour des élections, le 10 avril, assise devant mon poste de télévision, en famille, les deux figures victorieuses se sont dessinées sur l’écran : celles du président sortant, Emmanuel Macron et de la candidate de l’extrême droite, Marine Le Pen. J’ai alors revécu la soirée électorale identique du 23 avril 2017, mais aussi celle du 21 avril 2002. Les deux protagonistes étaient alors différents, quoi que, puisque l’un d’eux n’était autre que le père de l’actuelle candidate du Rassemblement National, Jean-Marie Le Pen, qui avait créé la surprise du premier tour, et l’autre était également le président sortant de l’époque, Jacques Chirac, candidat de la droite.
Un scénario qui se répète mais avec des nuances…
L’effet de surprise n’est plus le même vingt après, car la qualification de la candidate d’extrême droite au premier tour devient presqu’une évidence. Par conséquent, si la boucle temporelle nous renvoie au même scénario électoral, nos réactions en tant qu’électeurs, elles, se transforment, et comme dans « un jour sans fin », à chaque élection qui recommence, nous oscillons entre incompréhension, résistance, et parfois même résignation…
Ce scénario admet certaines variations également car le paysage politique en 2022 n’est plus celui de 2002. L’ancrage de l’extrême droite dans le paysage politique et au sein de l’électorat français est croissant sur ces vingt années. En 2022, la droite radicale et identitaire représente au premier tour près du tiers des suffrages exprimés, et montre donc une forte progression par rapport à 2017. Les raisons sont multiples : un travail de dédiabolisation du discours et valeurs du Rassemblement National mené par Marine Le Pen, un programme opportuniste qui a su dépasser une orientation politique initiale libérale, pour progressivement séduire un électorat populaire et proposer une politique sociale axée sur le pouvoir d’achat, ne remettant pas en cause les fondamentaux nationalistes. En outre, Eric Zemmour avec son mouvement Reconquête a réussi à rendre encore plus présent dans la campagne de 2022 un discours raciste et révisionniste.
L’espace occupé par les partis traditionnels de gauche et de droite s’est, lui, progressivement réduit, comme peau de chagrin ! La droite avait réussi à conserver un rôle prédominant dans les campagnes de 2007 et 2012, avec un candidat emblématique, Nicolas Sarkozy. Mais en 2017, l’image du parti Les Républicains a été largement écornée par son candidat, François Fillon, empêtré dans des affaires judiciaires. L’apparition du parti La République en Marche (LREM) aux élections de 2017, représenté par Emmanuel Macron, a rebattu les cartes. Avec une stratégie centriste du « en même temps » – et gauche et centre et droite, LREM a grignoté l’électorat déçu de la droite, mais aussi une part importante de l’électorat social-démocrate traditionnel divisé après le quinquennat de François Hollande. La partie de l’électorat de gauche portant une vision plus radicale s’est tournée quant à elle vers La France insoumise et son leader Jean-Luc Mélenchon, un parti dont la représentativité s’est renforcée sous le quinquennat Macron.
Un 3ème tour qui peut faire basculer la boucle temporelle ?
C’est à présent le tour des législatives, appelé aussi « 3ème tour », qui se dérouleront les 12 et 19 juin.
Côté majorité présidentielle, les investitures des futurs députés ont fait l’objet de tractations avec plusieurs partis, dont Horizons d'Edouard Philippe, mais aussi le MoDem de François Bayrou, et les courants qui s’étaient formés en cours de mandant tels que Agir ou encore Territoires de progrès. Ces arrangements ont eu pour conséquence de sacrifier plusieurs députés sortants, certains choisissant de mener campagne de façon dissidente.
LR tente, cahin-caha, après sa déconfiture aux présidentielles, de sauver les apparences malgré la fuite de certains de ses députés enrôlés dans la majorité présidentielle.
A l’extrême droite, Le Rassemblement national a esquivé une union avec Reconquête. Ce dernier a donc investi ses propres candidats ; une division qui pourra coûter des sièges aux deux partis nationalistes.
Après de longues négociations, une union de la gauche a été actée, sous la bannière Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). Elle réunit La France insoumise, le Parti socialiste, Europe Ecologie-Les Verts et le Parti communiste. L’objectif de cette union est d’emporter la majorité des sièges à l’Assemblée nationale et d’instaurer une période de cohabitation. Si ce n’est pas le cas, la NUPES deviendra probablement la première force d’opposition.
Dans un mois, nous saurons donc si le même scénario, celui de 2017, se répétera encore, maintenant une majorité présidentielle forte, ou alors si la boucle temporelle se brisera avec l’apparition d’un contrepoids politique.
Gwenaëlle Thomas
*film (1993) de Harold Ramis, avec Bill Murray et Andie MacDowell
- 50 vues