Le hongrois, une langue quasi unique et originale, en passe de perdre son identité ?

Le hongrois, une langue quasi unique et originale, en passe de perdre son identité ?

Le hongrois, une langue quasi unique et originale, en passe de perdre son identité ?

La langue hongroise est réputée pour être hermétique aux étrangers, notamment par un vocabulaire qui ne manque pas de dérouter les touristes de passage. Une réputation de moins en moins fondée. Du moins au vu des résidents expatriés de plus en plus nombreux qui parviennent à l´assimiler, souvent fort bien. Quant au vocabulaire, comme partout, il évolue, aussi les emprunts étrangers s´y font-ils de plus en plus nombreux. Un phénomène relativement récent, mais qui tend à s´accentuer. Le premier exemple qui nous vient à l´esprit est le mot „quarantaine” (karantén), actualité oblige. Des emprunts dont souvent, mis à part les locuteurs francophones, les Hongrois ignorent l´origine. Combien établissent, par exemple, le rapport entre le mot (quarantaine) et son origine (le nombre quarante) ? Certainement bien peu. Des emprunts qui, dans certains cas, s´écartent du sens originel pour donner des résultats parfois surprenants. Tel, pour désigner notre „réticule”, le mot „ridikül”, qui se prononce „ridicule”. Et le cas n´est pas rare… Voire recouvrant en hongrois un sens opposé à sa signification d´origine.

Au-delà de ces emprunts, disons, „classiques”, un phénomène de plus en plus répandu consiste à magyariser des mots étrangers pour supplanter leur équivalent hongrois. Tel notre verbe „préférer”, ou l´anglais „to prefer”, qui se traduit normalement en hongrois par l´expression „jobban szeretni”, remplacé par le mot „preferálni”. Ou encore „differencia” pour le mot „különbség” (différence). L´un des plus récents est le fameux et redoutable „lájkolok” pour désigner sur les réseaux sociaux une publication qui vous plaît, transcription phonétique de „I like” magyarisé.  Alors que le hongrois dispose pour cela d´un terme parfaitement adapté : „tetszik”.  Le pompon : le délicieux „egálizált”, entendu à la radio pour un joueur ayant égalisé lors d´une rencontre sportive (en hongrois. „kiegyenlíteni”).

Un usage pour le moins agaçant, non exempt de pédanterie et totalement superflu. Le plus comique dans l´histoire est que ceux qui l´utilisent sont souvent ceux-là mêmes (hommes politiques, monde des médias) qui se présentent à tout bout de champ en défenseurs intransigeants de l´identité magyare….

Et dans l´autre sens ? Certes, nous pourrions parler de „hussards vêtus de leur beau dolman, dégustant un délicieux goulache au son d´une csardas” (2). Mais il s´agit ici, non d´emprunts, mais bien plutôt de noms propres qui demeurent sémantiquement rattachés à leur langue d´origine. En fait d´emprunts, j´en connaîtrais pour ma part un, mais un seul, bien que certains en contestent l´origine : le mot „coche” qui proviendrait du village hongrois de Kocs où furent produites au XVIème siècle les premières voitures hippomobiles par des charrons du cru („kocsi szekér”). Vite popularisé dans toute l´ Europe par la famille Thurn und Taxis qui fut la première à l´exploiter. (3)

Certes, le phénomène n´est pas propre à la langue hongroise. A cet égard, nous autres, Français, si friands d´ anglicismes, n´avons pas de leçon à donner. Sauf que, avec à peine 13 millions de locuteurs permanents, face à nos 130 millions de francophones, le hongrois se montre plus sensible aux influences venues de l´étranger, partant plus fragile. De plus, une langue quasiment unique en Europe (avec le finnois et l´estonien) qui ne ressemble à aucune autre et dont l´originalité fait précisément le charme. Il faut, à la décharge de ses locuteurs, reconnaître que c´est précisément par son caractère original, notamment sa structure agglutinante, qu´elle est en mesure d´assimiler, de magyariser n´importe quel terme étranger. La tentation est donc grande de se prêter au jeu.

Mais ne soyons pas si pessimistes et ne jouons pas trop les Cassandre. La langue hongroise a encore de beaux jours devant elle. Ceci dit, si la tendance persiste, elle risque malgré tout de perdre à la longue une part de cette spécificité qui fait son charme, sa saveur, ce pourquoi nous l´aimons.

Pierre Waline

(1) „bla bla bla”: onomatopée inventée par Paul Gordeaux (...donc encore un emprunt…)

(2): soit dit en passant, le goulache à notre façon n´ a souvent rien à voir avec celui dégusté en Hongrie: soupe parfumée au paprika où baignent des morceaux de bœuf. La faute aux Allemands qui, avec leur „gulasch”, en ont fait une sorte de ragoût (qui correspondrait davantage au „pörkölt” hongrois).

(3): affirmation  qui s'appuie sur le dire d'Avila, qui écrivait en 1553 : " Un chariot couvert qui se nomme en Hongrie coche, le nom et l'invention sont de ce pays. ". Confirmé par Wikipédia : „ Le coche apparaît vers le XVIe siècle. Le terme provient du nom du village de Kocs en Hongrie. Il s'est étendu en allemand kutsche, koets en hollandais, en français, espagnol, portugais coche, en anglai coach. Il entre dans la langue française en 1545.”  Mais pour d´autres, le mot proviendrait de l´italien „cocchio” (issu du mot „coquille”), également apparu au XVIème siècle. Allez donc savoir ! Encore que j´opterais pour la versions hongroise.

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