La Pâque hongroise, une tradition solidement ancrée : les oeufs peints et l’aspersion des jeunes filles …
Un souvenir de la Pâque de mon enfance : je me revois encore rechercher à la campagne les œufs lâchés dans les buissons par les cloches en route depuis Rome (et j’y croyais...). Si les cloches ont disparu depuis belle lurette du paysage, les œufs sont toujours bel et bien là. Mais, à propos, pourquoi précisément des œufs ? L’explication en est simple. Dès l’Antiquité, il était d’usage d’offrir et consommer des œufs, symboles de fécondité, pour célébrer l’arrivée du printemps. Tradition reprise plus tard par la religion chrétienne, la résurrection du Christ annonçant une ère nouvelle, promesse de renouveau. Fête qui coïncide précisément avec l’éclosion du printemps.
Ce qui, par contre, différencie la Pâque célébrée en Hongrie de notre fête est la tradition des œufs peints. Au demeurant répandue, sous diverses formes, dans toute la région. Tradition qui n’a rien perdu de sa pratique, bien au contraire. Les femmes, surtout à la campagne, mais aussi en ville, voire les enfants, ne manquant pas de peindre à cette occasion des œufs qu’elles auront au préalable préparés. (Opération délicate consistant, à l’aide d’une aiguille, à en vider le contenu sous vide.) Disposant pour cela de colorants spéciaux naturels. Occasion pour ces dames de déployer tout leur talent, nous offrant parfois de vraies petites œuvres d’art. Notamment en Hongrie où y sont généralement reproduits des motifs populaires traditionnels, telle la tulipe, que l’on retrouve entre autres dans la région de Kalocsa. L’origine ? Certains l’attribuent à la couleur rouge représentant le sang, riche de symbole. D’aucuns faisant allusion au sang du Christ dont, lors de son calvaire, des gouttes auraient été versées sur un panier d’œufs qui se serait trouvé sur son passage. Version séduisante, certes, mais hautement fantaisiste. Mais bon, laissons là ces supputations et contentons-nous d’en apprécier le résultat, car le spectacle en vaut la peine.
Sur la table de Pâques, on trouvera généralement dans les campagnes un jambonneau (csülök), des œufs et de la viande farcie, mais aussi l’indispensable brioche „de Pâques” en forme tressée (fonott kalács), repas agrémenté de délicieuses, mais peu légères, pâtisseries faites maison. Le tout généreusement arrosé. Une consommation d’eau de vie de prune, cerise ou abricot (pálinka) parfois excessive, au point qu’il fut un temps où la vente en était interdite en cette période. (Ce qui, d’ailleurs, ne changeait pas grande chose, ces alcools étant souvent distillés sur place.)
Autre tradition pascale, pour le moins curieuse : l’aspersion des jeunes filles (locsolkodás) qui, dans les campagnes, se transforme en véritable arrosage. Le matin de Pâques, les jeunes gens se lancent à la chasse des jeunes filles pour les arroser de grands seaux d’eau. Jeunes filles qui, ayant revêtu à l’occasion leurs plus beaux atours, n’attendent que ça. Course qui se termine dans les rires et gloussements de ces belles. Et débouche souvent sur une invitation à passer prendre une portion de gâteau arrosée d’un verre de pálinka, eau-de-vie hongroise. A la ville, la tradition est également respectée, le seau d’eau étant remplacé par un petit flacon de parfum dont ces dames se voient gratifiées de quelques gouttes bien inoffensives. Une tradition à laquelle nul n’échappe. Apparue dès les anciens temps dans les pays slaves voisins, c’est au XVIIe siècle qu’on la mentionne pour la première fois dans les campagnes hongroises. Ici encore certains font remonter la tradition à une origine curieuse - et tout aussi fantaisiste. Lors de la résurrection du Christ, les soldats auraient arrosé les femmes parvenues au tombeau vide pour les empêcher d’y pénétrer et de répandre la bonne nouvelle. (Fantaisiste, mais reconnaissons là au moins le fruit d’une imagination fertile...)
Au-delà de ces coutumes, la Fête de Pâques revêt en Hongrie (mais aussi dans toute la région, a fortiori dans le monde orthodoxe russe) une importance toute particulière. Au point que, comme à Noël, il est d’usage de s’adresser des vœux par l´envoi de cartes. Y déroger serait pour beaucoup mal venu. Encore que cet usage tende peu à peu à se relâcher, notamment chez les jeunes.
En cette année où la Pâque des chrétiens coïncide avec la Pessa’h du peuple juif commémorant l’Exode d’Egypte, ce long week-end (de quatre jours pour les Hongrois) sera surtout marqué par un exode d’un autre type, celui des vacanciers sur les routes de France et de Hongrie (1). Osons malgré tout espérer que nombreuses et nombreux seront celles et ceux qui continueront à y associer un sens religieux. Après tout, il n’est pas interdit d’espérer.
Pierre Waline
(1): mais aussi, pour les autres, pour peu qu’ils soient mélomanes, une occasion unique de se voir offrir un riche programme de concerts, d´église ou autres.
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