VU et pris !
La Maison des photographes hongrois, Mai Manó Ház, accueille jusqu’au 26 août prochain, trois jeunes photographes présentés par la galerie VU : Michael Ackerman, connu pour son travail sur la ville et ses expérimentations techniques qui l’amènent à jouer avec le flou; Lorenzo Castore, remarqué pour ses photoreportages privilégiant une approche expressionniste et intime; et enfin Richard Dumas reconnaissable à l’élégance de ses portraits, en noir et blanc, de célébrités mais aussi d’inconnus ou de paysages où contrastes et textures sont essentiels.
Ces trois photographes illustrent l’esprit de l’agence VU, créée en 1986 par Christian Caujolle (alors Directeur du service photo de Libération) et Zina Rouabah (gérante de Libération ) : faire connaître les nouveaux talents, quel que soit le domaine, à travers des expositions itinérantes, ou des publications dans les journaux comme dans les livres. Notons que son nom reprend celui d’un hebdomadaire illustré des années 1928 à 1940, VU, dirigé par Lucien Vogel qui publia notamment James Abbe, Brassaï, Robert Capa, André Kertész, Man Ray. Après avoir été reprise par le groupe Abvent en 1997, l’activité de l’agence s’est étendue à travers la plus grande Galerie parisienne privée dédiée à la photographie (550 m2) ouverte en 1998. Elle travaille, tout comme l’agence de photographes, à diffuser la dimension culturelle de l’image, travail par ailleurs récompensé par de nombreux prix.
L’exposition s’ouvre avec la « Série Paradisio » (2001-2002) de Lorenzo Castore. Les tirages de grands formats présentent une vision presque hallucinée de la Havane. Les images sont en effet souvent brouillées, troublées : un personnage, dont on ne distingue que la silhouette, courbée dans la nuit, traverse péniblement une mare d’eau qui coupe la chaussée. Un autre, les bras ouverts, chante de tout son coeur. Son visage n’est pas net. Ce qui compte c’est le mouvement et la lumière qui semblent danser dans le cadre, lumière qui transcrit une émotion et une sensation physiques de l’ambiance. L’émotion est saisie à fleur de peau dans le portrait d’un travesti qui nous regarde droit dans les yeux pour y exprimer sa sensibilité la plus profonde. Ce photographe italien, né en 1973 à Florence, s’aventure ainsi dans les rues de Cuba pour y saisir la fragilité de la ville, son délitement et la solitude des Hommes. Nous éprouvons un sentiment étrange devant ce monde urbain difficile dans lequel, pourtant, dominent des couleurs chaudes qui laissent espérer le «paradis».
Nos pas nous mènent alors dans une pièce plus petite devant le seul tirage exposé de Michael Ackerman. Il s’agit, comme le dit le directeur de la Galerie VU, Gilou Le Gruiec, d’«une vue d’une rue de ville déserte, mal éclairée et dont un bâtiment imposant vient boucher la perspective». L’auteur y «plante le décor dans un inquiétant et vibrant éclatement du grain photographique poussé à ses limites». Michael Akerman, né à Tel Aviv en 1967, new-yorkais d’adoption depuis 1974, restitue lui aussi à sa manière une vision sombre de la ville, et ce en transgressant les règles de la photographie, en travaillant avec les limites du visible. La lumière joue avec la palette la plus large des gris. Deux fenêtres du fond brillent davantage que les autres et font échos à un lampadaire au premier plan. Mais le grain de la photo nous plonge au cœur d’une nuit sans doute empreinte des tourments des citadins.
A l’étage supérieur nous nous retrouvons entourés par une série de portraits de personnages issus du monde de la musique, du cinéma ou de la littérature. Si nous aimons les reconnaître, nous apprécions surtout leurs regards qui dévoilent leur nature authentique, et la qualité des contrastes qui participent de cette vérité. Retenons en particulier les regards étonnants de Miles Davis, de David Cronenberg ou encore de Maria Casares, le masque mortuaire de Peter Lorre, la beauté des enfants du Sénégal ou d’ailleurs et l’océan. Richard Dumas qui dit être passé de «la physique à l’alchimie» réussit à dépasser l’anecdote grâce à son savoir-faire et sa maîtrise de la lumière.
Trois artistes amoureux de la lumière. A voir.
Milena Le Comte Popovic
Mai Manó Ház, Nagymezô utca 20 (ouvert tous les jours de 14h à 19h)
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