Villes fertiles

Villes fertiles

Première du film documentaire de Suzanne Körösi

Rencontre avec la réalisatrice à Budapest

Les maraîchers bulgares ont contribué à diminuer la famine dans la capitale hongroise assiégée en 1944. Leur manière de cultiver la terre devient emblématique pour assurer l’autonomie alimentaire des villes dans un avenir plus au moins proche. La première hongroise du documentaire sera suivie prochainement par les projections de la version française.

 

Éva Vámos : A la première projection du documentaire Villes fertiles – suivie d’une table ronde - nous étions nombreux, avides de connaître le contexte. Ce film, qui débute avec une évocation des années de guerre, retrace l’histoire des maraîchers bulgares et de l’agriculture urbaine jusqu’à nos jours et pose des questions d’une actualité brûlante. Comment l’idée d’en faire un film vous est-elle venue ?

Suzanne Körösi : C’est l’histoire vraie de ma mère qui m’a inspirée. Pendant la guerre, elle a été employée comme ouvrière saisonnière par des maraîchers bulgares à Zugló. Pour éviter la déportation, elle a trouvé des faux papiers et a vécu dans l’illégalité. Elle a refusé de porter l’étoile jaune et n’est pas rentrée dans le ghetto de Budapest. Toute sa vie, ma mère a été très reconnaissante aux jardiniers bulgares. Pendant les dernières années de sa vie, elle vivait avec nous à Paris et elle se souvenait encore des maraîchers bulgares.

C’est alors que je me suis rendue compte que c’est un sujet d’une actualité brûlante. Le réchauffement climatique, et l’épuisement des ressources naturelles, des énergies fossiles font que les villes se trouvent de plus en plus face à un problème majeur : comment dans un avenir plus au moins proche assurer l’autonomie alimentaire des villes. J’ai des données sur la situation actuelle de Paris et de Londres. Ces villes ont moins d’une semaine d’autonomie alimentaire. A cause des catastrophes naturelles (comme des volcans qui se mettent en activité) ou bien pour d’autres raisons (comme des grèves), tous les transports peuvent être bloqués. En ce cas, Paris a une autonomie de 3-4 jours en produits frais et de 6 jours en produits secs. Londres fait un peu pareil. Et l’autonomie alimentaire de Budapest ? J’ai contacté le Ministère d’Agriculture, le Ministère de l’Intérieur, l’Agence Nationale de Sécurité Alimentaire, l’Agence Gouvernementale des Affaires de Budapest, qui m’ont tous dit ne pas disposer de ces données, et que même la question leur était totalement inconnue. Soit effectivement cette réflexion fait défaut, soit les données existent, mais elles sont secrètes. On sait par contre que jusqu’aux années 80, les maraîchers bulgares de Csepel, de Halàsztelek et Dunavarsàny fournissaient plus que la moitié des légumes consommés dans la capitale. Ils nous racontent dans le film, pourquoi ce n’est plus le cas à présent.

É.V.: Vous avez réalisé, il y a quelques années, « A nous de choisir », un film sur la consommation responsable, et plus tard, « On revient sur Terre » sur des alternatives écologiques en France. Quels sont les enseignements de votre nouveau documentaire ?

S.K: Depuis quelques années, je lis beaucoup sur les villes en transition, qui ont la préoccupation de ramener la production alimentaire dans les villes. C’est un mouvement qui est parti d’Angleterre et Rob Hopkins, dans son « Manuel de transition », évoque la vie à Londres pendant la guerre, et de manière plus générale, les économies de guerre, caractérisées par la pénurie d’énergie. Si on prend au sérieux le constat qu’on dispose de moins en moins d’énergies fossiles conventionnelles et de matières premières, il est intéressant d’étudier comment les gens ont survécu aux années de guerre. Le prix du pétrole n’arrête pas d’augmenter et ceci a des répercussions sur le prix des aliments entre autres. Il est certain que le manger local et bio est non seulement plus sain mais aussi économe en transports, en pétrole. Au lendemain de la première de « Villes fertiles », quelqu'un m’a envoyé un mail me disant que le film lui donnait envie de faire un jardin potager. D’ailleurs nous avons tourné plusieurs séquences au Marché Szimpla en plein coeur de Pest qui est un marché de producteurs de proximité de Budapest, qui viennent vendre leurs produits sans intermédiaire et où on sert un déjeuner préparé par une Association. Ces séquences sont là pour laisser le public respirer et réfléchir sur tout ce qui vient d’être dit. J’ai voulu aussi montrer que, comme dans d’autres grandes villes dans le monde, à Budapest aussi il y a des producteurs et des consommateurs qui réfléchissent sur ces questions et agissent dans leur vie quotidienne.

É.V. : Pour revenir aux maraîchers bulgares, on voit dans le film qu’ils ont une compétence impressionnante, héritée d’une tradition très ancienne.

S.K. : Oui, les premiers maraîchers bulgares sont apparus à Óbuda dans les années 1870 et ils ont essaimés vers d’autres villes. Vers 1920 il y avait environ vingt-cinq mille maraîchers bulgares en Hongrie, et leurs primeurs ont considérablement enrichi l’alimentation des citadins. Ils disposaient d’une technique et d’un savoir-faire très particuliers, qui sont en voie de disparition. Dans le film, les maraîchers nous expliquent tous les mécanismes qui les étouffent. On ne devrait pas laisser cette technique disparaître à jamais. Je pense qu’elle devrait faire partie du patrimoine culturel de l’humanité de l’UNESCO.

É.V. : Il y a quelques années vous avez filmé le premier Tour de France alternatif. Le film, « On revient sur Terre », qui a aussi fait le tour de France, puis a été projeté un peu partout, montre à quel point on a besoin d’une approche nouvelle, alternative de notre avenir. Comment avez-vous tourné ce documentaire ?

S.K. : L’idée de mon ami, Dominique Béroule, de lancer un Tour de France alternatif m’a paru, dès le premier instant, géniale. Dominique cherchait une alternative au dopage qui d’année en année entraine le Tour de France dans des scandales. Il imaginait que ce tour de France, qui partirait en même temps que le Tour de France, serait non compétitif, donc forcément non dopé, et choisirait un itinéraire qui permettrait à un groupe de 60 cyclistes de découvrir des gens qui ont mis en place des alternatives écologiques et sociales. Notre équipe a suivi l’AlertTour, ce premier Tour de France des alternatives depuis le début jusqu’à la fin. J’ai adoré le tournage !

La formule était intéressante : à toutes les étapes, midi et soir, le groupe des cyclistes était reçu pour le déjeuner et le dîner par des gens engagés, qui dans l’agriculture bio, dans l’agro écologie, qui dans la construction écologique, qui dans les énergies renouvelables. Il y a eu des échanges, des débats très intéressants entre ceux-là et les cyclistes, la plupart également à la recherche des alternatives au mode de vie et au modèle économique dominants. C’était autour du Massif Central que nous avons parcouru de magnifiques paysages et rencontré des gens passionnants. Ce documentaire donne une espèce de panorama des gens, qui un jour se sont rendus compte qu’ils seraient plus heureux, s’ils donnaient un sens à leur vie, si leur travail était en cohérence avec leurs convictions, s’ils contribuaient à changer le modèle économique en rompant avec l’impératif de compétition en faveur d’un mode de vie au quotidien guidé par l’esprit de solidarité. Et lors de ces rencontres et débats on était dans une sorte d’euphorie, oui, on se sentait « dopé », non pas par les produits chimiques nocifs pour la santé et pour l’esprit des sports, mais par l’effort physique, par les bons repas et par l’ambiance chaleureuse de ces rencontres. Il semble que ce « dopage » alternatif traverse le film, puisqu’une journaliste de France Culture a remarqué, en effet, combien les participants du film respiraient le bonheur.

C’est le point commun entre « On revient sur terre » et les intervenants de la deuxième partie de « Villes fertiles ». Car les personnes qu’on entend à Wekerletelep et à Kispest partagent quelque chose avec les gens rencontrés à Lyon, en Bourgogne, dans le Minervois et à Toulouse : c’est aujourd’hui qu’il faut agir pour trouver une issue à la crise culturelle, écologique et économique.

Éva Vámos

On peut voir le film sur internet (la page est encore en construction) :

Version française : http://lesfilmsdureveil.free.fr/villes-fertiles.html

Version hongroise : http://lesfilmsdureveil.free.fr/nehogy-az-ordog.html

 

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