Vers un régime par répartition?
Après avoir redirigé les cotisations versées aux caisses de retraite privées vers le Trésor Public pour les 14 mois à venir et obligé les cotisants à choisir entre rester dans le secteur privé ou opter pour le secteur public, le gouvernement continue en affichant sa volonté de voir le deuxième pilier (retraite par capitalisation) disparaître. Cette mise en péril de l’activité des fonds de pension inquiète en plus haut lieu.
Le porte parole du Commissaire européen aux affaires économiques et financières a estimé que les dernières annonces des autorités hongroises sur le système de retraite pourraient conduire à la suppression totale des caisses de retraites obligatoires.
Dans le cadre du plan d’austérité, le gouvernement a envisagé le reversement des cotisations des caisses privées de retraites dans le secteur public comme étant un bon moyen de rendre le budget 2011 plus équilibré. La création d’un fonds public destiné au financement de la dette publique et alimenté par une partie des capitaux accumulés par les fonds de pension (3000 milliards de HUF selon l’opposition et 1000 selon le gouvernement). Pour juger de l’exact montant de cette somme, le gouvernement prévoit d’enquêter, notamment en cherchant les vraies raisons de la baisse prévue pour 2012 du budget de fonctionnement et des frais de gestion des 19 fonds de pension. Depuis quelques semaines, Bruxelles, Paris et Berlin, surveillent ces évènements de près, d’autant plus que la Pologne, la Bulgarie, la République Tchèque et la Roumanie ont fait savoir qu’ils entendaient prendre des initiatives de ce type. La France et l’Allemagne ont clairement pris position contre le financement de la dette par les cotisations et les fonds des caisses privées de retraites, jugeant cette démarche dangereuse pour les cotisants. La critique de la Commission européenne se situe quant à elle sur un plan structurel et s’explique par sa prise de position sans complexe pour le développement et le renforcement des capacités des régimes par capitalisation ainsi que celui des régimes complémentaires, d’une offre assurantielle individuelle pour les travailleurs et à terme pour l’instauration d’un régime de retraite privé à l’échelle des Vingt-sept coexistant avec les systèmes nationaux. La Commission, dans un document (le livre vert) préparé par les commissaires László Andor (emploi, affaires sociales et inclusion), Olli Rehn (affaires économiques et monétaires) et Michel Barnier (marché intérieur et services), juge de surcroît que «le fait de compléter le marché intérieur en y incluant les produits de retraite aura un effet direct sur le potentiel de croissance de l’UE». C’est en ce sens que Bruxelles s’oppose à l’actuelle politique du gouvernement hongrois considérant que l’activité des fonds de pension ne doit être mise en péril mais au contraire développée et approfondie, qu’un régime de retraite ne peut être viable sans un pilier robuste consacrant un système par capitalisation.
En outre, la commission rejoint la position de la France et de l’Allemagne qui fustige le financement des dépenses courantes par l’argent accumulé dans les fonds de pension. Le gouvernement fait fi de cette opposition en prévoyant d’utiliser une part de la fortune accumulée par les caisses privées pour réduire le déficit du premier pilier et compenser les baisses d’impôts. Au-delà de l’utilité comptable d’une telle politique, le gouvernement va plus loin et prévoit de modifier la structure du système de retraite en Hongrie comme en attestent les déclarations du Premier Ministre et de son ministre des Finances voulant tous deux voir le deuxième pilier disparaître. Les mesures prises et celles qu’ils entendent prendre sont destinées à convaincre un maximum d’épargnants que le retour au secteur public est opportun ou plutôt que continuer à verser de l’argent aux fonds de pension serait pénalisant. Ainsi, les épargnants se verraient-ils offrir la possibilité de récupérer en monnaie fiduciaire (billets de banque) la somme dépassant l’inflation s’ils souhaitent revenir dans le secteur public. Par ailleurs, pour ceux qui souhaiteraient malgré tout poursuivre le versement d’argent aux caisses privées, l’employeur couvrira la retraite de l’employé non plus à hauteur de 24% mais de 10% car le gouvernement juge insuffisante la participation de l’employé à l’effort de solidarité nationale.
Le gouvernement explique que le régime par capitalisation est trop instable, qu’il n’apporte que très peu de sécurité aux travailleurs et qu’il est aux mains de vautours dont le seul but est l’enrichissement rapide et colossal. C’est jusqu’à présent à peu près ce qui s’est toujours passé. La faiblesse du régime par répartition est quant à elle tout autre. Afin de pérenniser un système de retraites exclusivement par répartition en se souciant tout particulièrement de la solidarité nationale et de la justice sociale, le gouvernement devra user d’arguments assez rares au niveau européen mais quasi-inexistants en Hongrie, dont le principal est de faire passer l’intérêt du salarié avant celui de l’actionnaire en réajustant le curseur du partage de la valeur ajoutée. Le Fidesz paraît très peu crédible sur ce point. Mais il le paraît encore moins, quand, en défendant un système d’impôt sur le revenu exclusivement proportionnel (impôt à taux unique de 16%), il se moque complètement de la notion de solidarité nationale. Avec un tel système, cela donnerait ceci: selon les calculs de l’hebdomadaire A Szabadság, les personnes percevant un salaire mensuel de 75.000, 110.000, 170.000 et 210.000 HUF paieraient respectivement 2048, 1603, 841, 4713 HUF de plus alors que ceux percevant un salaire mensuel de 400.000, 600.000, 1 et 2 millions de HUF paieraient 18.780, 59.420, 140.700, 343.900 HUF de moins. Étrange solidarité. Enfin, deux autres obstacles à la volonté gouvernementale de s’attaquer aux caisses privées peuvent être énoncés. Le premier est la mise en garde d’un juge constitutionnel hongrois à laquelle le gouvernement a eu droit. Selon ce juge, l’éventuel effet rétroactif de la loi violerait le droit de propriété. La fédération des caisses privées (Sztabilitàs Pénztàr-szövetség) entend se tourner vers la Cour constitutionnelle hongroise, voire la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le deuxième est le climat houleux qui règnera quand M. Orban, à partir du 1er janvier prochain, présidera pour un semestre le Conseil de l’Union Européenne et défendra cette politique qui n’est pas celle voulue par Bruxelles.
Yann Caspar