Union Européenne: l'heure de la relance?

Union Européenne: l'heure de la relance?

Du 6 au 11 juillet prochain, les Centres d’Études européennes de l’Université de Szeged et de l’Université Jean Moulin Lyon III organisent à Budapest une université européenne d’été autour des aspects institutionnels, économiques et sociaux des États membres de l’Europe centrale et orientale. László Trócsányi, juge constitutionnel hongrois, directeur du Centre d'Etudes européennes, professeur à l'Université de Szeged et ancien ambassadeur de Hongrie en Belgique participera à cet événement. Il évoque pour nous les prochains défis européens.

 

JFB: La première journée de cette Université d'été sera consacrée aux résultats et aux effets des élections européennes. Pouvez-vous nous aider à interpréter ces résultats en Hongrie?

László Trócsányi: Il y a d'une part l'abstention. C'est le même problème partout en Europe: il est très difficile de mobiliser les gens autour de ces élections car les sujets européens sont assez complexes et peu populaires. C'est la raison pour laquelle les partis politiques préfèrent souligner l'importance des questions de politique intérieure sans proposer de vision sur l'Europe. Cette Université d'été sera l'occasion de s'interroger sur les raisons de cette abstention : Comment est-il possible de mieux mobiliser les gens? Y-a-t-il encore un enthousiasme envers l'Europe? Quels étaient les espoirs, en particulier de la Hongrie, lors de son entrée dans l'Union européenne et que pense désormais la population en 2009? La Hongrie ne peut donner sa seule vision sur bien des questions. L'environnement ou la libéralisation de l'électricité sont autant de sujets sur lesquels il faut travailler ensemble car ils n'appellent pas de réponses hongroises ou françai-ses, mais européennes. Mais pour cela, il faut une véritable relance. Elle est indispensable et nécessite une réflexion commune sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

 

JFB: La bonne performance du Jobbik est-elle particulièrement alarmante de votre point de vue?

L.T.: Il est difficile de répondre à cette question car nous ne connaissons pas encore la participation de ce parti politique au sein de l'Union européenne. Il y a le discours d'une part et les décisions à prendre d’autre part: ce sont deux choses totalement différentes et nous verrons comment ce parti se confronte à la réalité. Par ailleurs, quelles seront les coalitions? Il est clair que le Fidesz appartient au PPE (Parti Populaire Européen), que le MSZP fait parti du groupe socialiste. Tous les partis politiques cherchent des partenaires et nous ignorons encore quels seront les partenaires potentiels de Jobbik. Il faut être prudent avec ces questions. Ainsi est-il encore trop tôt pour se prononcer sur la voie de ce parti au sein de l'UE. Nous savons qu'il est contre le traité de Lisbonne, mais Jobbik n'est pas seul à s'y opposer, il y a aussi le président tchèque Václav Klaus et certains partis politiques polonais ou britanniques. D'un point de vue personnel, je pense que la constitutionnalisation est une chose très difficile et l'Europe a commis beaucoup d’erreurs à ce sujet. Par exemple, la Convention sur l’avenir de l’europe a établi le Traité constitutionnel établissant une Constitution pour l’Europe de quelque 300 pages et l'a brandi en criant: «C'est la constitution!». Évidemment, cela a immédiatement suscité la méfiance en raison de la notion floue de Constitution, car qu'est-ce qu’une constitution? Il est très important que ce soit un document très lisible, très performant, très clair. Le Traité de Lisbonne ne veut pas apparaître comme une Constitution mais veut visiblement réduire le déficit démocratique existant.

 

JFB: Le cœur du problème c'est donc la communication?

L.T.: Je pense en effet que c'est le plus grand problème, y compris pour les partis politiques en Hongrie: comment communiquer sur l'Europe. Depuis 4 ou 5 ans, la communication s'est affaiblie. Lors de l'élargissement, on parlait de l'Europe presque quoti-diennement, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Il est vrai aussi que certains évènements, comme le «Non» en France ou aux Pays-Bas lors du référendum sur le Traité constitutionnel, ont aussi suscité une certaine mé-fiance dans notre pays. Peut-on réel-lement attendre des nouveaux Etats membres qu'ils soient absolument en-thousiastes alors même que les plus anciens émettent des critiques? Mais la question essentielle est de savoir comment il est possible de stabiliser l'Europe? L'élargissement a été très rapide et a peut-être manqué d'explication, à l'Est comme à l'Ouest de l'Europe. A l'heure actuelle, l'avenir de l'Europe peut se profiler à travers trois hypothèses: soit l'Europe se dissout, soit elle connaît un grand développement, soit elle entre dans une phase de stabilisation. Je ne pense pas à la dissolution car il y a beaucoup de valeurs au sein de l'UE et toutes ces réponses communes que nous avons apportées face aux défis rencontrés. Par ailleurs, ce n'est pas non plus le moment d'un grand développement comme c'était le cas dans les années 1980 et 1990, la "période Delors". Il me semble désormais important de stabiliser l'Europe, de déterminer quelles sont les priorités et de solidifier les politiques.

 

JFB: Vous allez participer à la table ronde intitulée: "Les défis actuels de l'UE: la communication de la stratégie européenne". A votre avis, qui doit prendre en charge cette communication? Est-ce aux institutions elles-mêmes de le faire? Ne manque-t-on pas de relais nationaux?

L.T.: Bien évidemment, au sein de l'UE, il y a une instance responsable de la communication, mais elle semble loin des citoyens. A l'échelle nationale, bien sûr le gouvernement est compétent sur cette question car s'il estime que les sujets européens sont importants, alors il cherchera les moyens pour attirer l’intérêt des citoyens sur ces questions. Mais je pense qu'il faut commencer en amont, dès le lycée par exemple, et poursuivre bien sûr à l'université... Mais que signifie "Etudes Européennes"? Si l'on prend par exemple le droit constitutionnel, le droit civil ou le droit administratif, il y figure toujours un aspect européen. A l’Université de Szeged, une formation de Master en droit européen en langue française et en partenariat avec Lyon III a été lancée en 2005 attirant plusieurs étudiants francophones et intéressés par les sujets européens. Par ailleurs, la société civile est très importante: le gouvernement ne peut en effet donner qu'un cadre et c'est aux citoyens de se saisir de ce sujet. Il est ainsi très important que se tisse une communication entre les villes, les lycées et les universités. Mais il faut du temps.

 

JFB: Et la Hongrie est une jeune démocratie également de ce point de vue...

L.T.: Jeune d'une part et elle rencontre un certain problème avec la connaissance des langues étrangères d'autre part, ce qui est absolument nécessaire pour établir le contact, ne serait-ce qu'à travers un jumelage entre deux villes. A ce propos, il peut arriver que certains maires pensent qu'il s'agit d'une visite touristique et ils ne saisissent pas vraiment ce que peut être le contenu d'un jumelage avec un partenaire allemand, français, belge ou anglais. Il en va de même pour les échanges entre fonctionnaires. Or si la Hongrie souhaite jouer un rôle, non pas décisif, mais important, elle doit faire des efforts dans ce sens, mais aussi dans la recherche de sa voie, sans quoi elle aura du mal à se positionner face à ses partenaires. Je remarque également avec mes étudiants combien ils sont prudents. Quand je donne une conférence en France ou en Belgique, immédiatement il y a 30 questions! En Hongrie, il y a beaucoup plus de respect envers la hiérarchie, les étu-diants n'osent pas toujours poser des questions. Or il faut encourager les gens à participer au débat, dire ce qu'ils pensent. C'est un travail énorme mais la communication peut donner des résultats, alors que l'absence de communication conduit à penser que c'est Bruxelles qui décide. De ce fait le citoyen ne comprend pas pourquoi ni comment les projets européens se réalisent! La position de la Hongrie en Europe dépend donc de sa capacité à se faire entendre.

 

JFB: Vous avez participé à la rédaction d'un article sur le rôle des Parlements nationaux dans la construction européenne. A l'inverse, pourriez-vous évoquer pour nous le rôle actuel du Parlement européen?

L.T.: Le Parlement européen est un organe à 80% politique. Toutes les législations, les normes et les projets viennent de la Commission, qui est le moteur de l'Europe. Il est vrai que la commission envahit quelque peu les autres institutions car elle produit beaucoup de nouvelles directives, auxquelles le Parlement doit faire face. Il est toutefois fondamental de trouver un équilibre entre les institutions: qu'attendons-nous du Parlement européen? Qu'il soit exclusivement politique ou qu'il soit aussi capable de suivre les dossiers? Dans la réalité, c’est la Commission et le Conseil qui ont le plus de pouvoir au sein de l'UE. Toutefois il semble qu'il y ait une tendance, depuis une dizaine d'année, vers un renforcement des pouvoirs du Parlement, d’autant plus si le Traité de Lisbonne est ratifié. Cela se fera lentement puisque c'est une institution énorme avec près de 736 membres. Il faut donc y former des coalitions afin de parvenir à un compromis: mais c'est cela l'Europe!

 

Frédérique Lemerre

Catégorie