Une relation constructive
Les relations hungaro-canadiennes
A l’occasion de la fête nationale canadienne, le 1er juillet prochain, et à quelques semaines de la fin de son mandat, Monsieur Pierre Guimond, Ambassadeur du Canada en Hongrie, évoque les grands axes de collaboration entre les deux pays et nous livre en sus quelques réfléxions sur le rôle et les enjeux de la diplomatie canadienne en Europe.
Près de 3 ans après son arrivée à Budapest, l’Ambassadeur du Canada en Hongrie, Monsieur Pierre Guimond, s’est volontiers prêté à l’exercice du bilan, son mandat arrivant à terme cet été. Il nous explique que c’est par un concours de circonstances que ses choix et affinités l’ont amené à se spécialiser sur les problématiques centre-européennes puisque ses mandats successifs l’ont conduit en Tchécoslovaquie, où il a assisté à la Révolution de velours, puis en Allemagne, en Autriche et enfin en Hongrie. Il a en outre occupé, à Ottawa, des mandats équivalents concernant les questions européennes et les relations du Canada avec l'Europe centrale ou de l'Est et les Balkans. Lui qui se décrit comme un “diplomate classique” a pour ainsi dire tout fait en termes de relations bilatérales, politiques et commerciales. Sur ce dernier point, il nous rappelle en effet qu’au Canada, les Affaires Étrangères et le Commerce International sont regroupés au sein du même ministère.
Le contexte hongrois
Sa première tâche, à son arrivée à Budapest, a été d’observer la situation en Hongrie. «Les 3 dernières années ont été difficiles, sur le plan économique d'une part, mais aussi du fait des tensions sociales et politiques. Il était relativement difficile pour moi de faire une analyse de la situation, les relations entre les hommes politiques étant exacerbées. J'ai donc consacré beaucoup de temps et d'énergie à comprendre la Hongrie d'aujourd'hui, à déterminer les secteurs où le Canada pourrait apporter une contribution et à identifier les axes que nous pourrions développer davantage dans nos relations bilatérales. Par exemple, les gens d'affaires avaient exprimé à mon prédécesseur des préoccupations sur certaines déficiences en transparence des opérations commerciales ou autour des contrats gouvernementaux. Un groupe informel de diplomates s’était formé il y a quelques années, entre autre avec l'ambassadeur de France, pour discuter de cette problématique et s'assurer que les autorités hongroises comprenaient bien le défi que cet aspect représentait pour le développement économique du pays. Ce groupe a pris une dimension intéressante et nous avons choisi de collaborer avec Transparency International qui a rédigé un rapport en 2008 sur les défis de la transparence en Hongrie, en identifiant les secteurs sensibles à ce problème: l'administration municipale, les contrats gouvernementaux, le financement des partis politiques, les médias… et en tentant de proposer des solutions. Notre groupe s'est donc servi de cet instrument pour faire état de nos préoccupations».
Un partenariat économique étroit
«J’ai été surpris, en préparant cette affectation, de voir la très grande importance de la Hongrie dans les investissements canadiens à l'étranger. Selon les statistiques canadiennes, la Hongrie est le 4e pays en Europe en ce qui concerne les investissements canadiens et se place au 9e rang dans le monde. C'est notamment dû à la qualité des relations entre le Canada et l'Union Européenne et en particulier à la présence d’entreprises canadiennes dans l’UE et inversement. Les entreprises ont en effet compris qu'il est plus efficace, pour faire des affaires avec un pays étranger, de s'y installer. Bombardier Rail, qui fabrique des trains, a ainsi implanté deux usines en Hongrie, à Dunakeszi et à Mátranovák, qui emploient plusieurs centaines de personnes, même si la crise économique et les difficultés de MÁV représentent un coup assez dur pour cette société».
Dès son arrivée, Pierre Guimond a choisi d'accorder une importance particulière à aider les entreprises canadiennes déjà implantées à rester en Hongrie et à continuer d'y faire des affaires dans un climat acceptable. « Notre gouvernement ne souhaite pas se substituer aux entreprises mais nous intervenons lorsque se présente un besoin d'interaction, par exemple avec les autorités hongroises. C'était un axe assez important de notre travail en Hongrie au cours de cette période d'incertitude économique». Quelques entreprises hongroises sont implantées au Canada, notamment dans les secteurs pharmaceutique, informatique, mais aussi dans le domaine de l’aviation, avec Corvus Aircraft, qui vient d’annoncer un investissement au Québec. Les entreprises hongroises ont en effet compris l’intérêt de conquérir le marché américain via le Canada et l’Accord de libre échange nord-américain. La présence économique canadienne en Hongrie se fait quant à elle majoritairement via des investissements dans des sociétés hongroises. Quelques milliers d’emplois dans le domaine manufacturier sont concernés par la présence de Bombardier et d’autres entreprises travaillant dans le secteur de la mécanique automobile ou agricole. La société pharmaceutique Lab Research est également présente en Hongrie de même que, dans le domaine des services, des sociétés de consulting, de comptabilité ou encore des cabinets d’avocats.
Les grands dossiers Canada-UE
Le plus grand dossier, actuellement en cours de négociations, entre l’UE et le Canada, est un accord économique et commercial global (AECG). Il s’agit d’un accord de libéralisation des échanges économiques qui couvrira bien plus que le commerce bilatéral puisqu'il comprendra également les services, l'accès aux marchés publics, la mobilité des personnes, etc. L’UE est le deuxième partenaire commercial en importance du Canada en ce qui concerne les biens et les services. En 2009, les exportations du Canada vers l’UE se sont chiffrées à 44,5 milliards de dollars, tandis que les importations de biens et services se sont élevées à 53,6 milliards de dollars. La même année, l’UE a investi 163,7 milliards de dollars au Canada et celui-ci a investi 148,9 milliards de dollars en Europe.
«Cet accord représente un grand potentiel et une question stratégique importante. Nous nous attendons donc à un accroissement des échanges avec la Hongrie peu après la signature de l’Accord l’année prochaine». Quant à la nature du partenaire européen, Pierre Guimond constate que «l'UE est notre meilleur amie et partenaire lorsque l’UE s'entend entre elle. Nos relations avec elle, étant donné sa nature, sont différentes de toutes les autres relations bilatérales. Du fait de cette complexité, nous devons souvent expliquer aux gens d'affaire canadiens qui fait quoi au sein de l'UE. Mais il faut dépasser cela et il y a une telle dynamique en Europe, et ce dans tous les domaines, que nous sommes très engagés dans ce partenariat».
Un partenariat qui ne date pas d’hier puisque le Canada s’est engagé dans les grands conflits mondiaux qui ont secoué l’Europe au XXe siècle.
“People to people”
Suite à la révolution de 1956, le Canada a accueilli 40.000 réfugiés hongrois, soit plus que tout autre pays au monde per capita, ce qui a profondément transformé la relation de la Hongrie envers le Canada, qui compte aujourd’hui environ 310.000 Canadiens d'origine hongroise. «L'exposition In Situ, qui regroupe un grand nombre d'artistes Canadiens d'origine hongroise de haut niveau, est un bon exemple de cette dynamique. Après avoir tourné dans toute la Hongrie, elle est désormais présentée au Canada. Il existe en outre un lien dans tous les domaines de la vie culturelle et plusieurs artistes, bien qu’ils ne soient pas toujours bien identifiés comme Canadiens, sont passés par Budapest, comme Leonard Cohen, Paul Anka, plusieurs troupes de danse contemporaines de renom ou encore Kent Nagano, le chef de l’orchestre symphonique de Montréal».
«Il existe en outre un programme d’études canadiennes, avec un réseau de milliers de professeurs à travers le monde, dont une trentaine en Hongrie, qui enseignent la littérature canadienne, la géographie, l’histoire, les sciences politiques, le droit, la sociologie, etc. Le succès remporté par ce programme depuis une trentaine d'années constitue un bon exemple de collaboration universitaire entre les deux pays puisqu’on compte cinq centres d'études canadiennes dans les universités hongroises et sept établissements d'enseignement supérieur offrent des cours sur des thématiques liées au Canada».
Volet politique
Suite à la visite d’Etat de László Sólyom au Canada en 2007, Mme Michaëlle Jean, gouverneure générale du Canada, s’est rendue en Hongrie en novembre 2008. «Cette visite d'État a été l’occasion de rencontrer des Hongrois issus de la société civile afin d’échanger sur des problématiques communes, notamment à l’occasion de la visite du Centre communautaire Kesztyûgyár, situé dans le VIIIe arrondissement, qui accueille plusieurs associations qui travaillent avec des jeunes Roms ou autour de la prévention de la toxicomanie. Elle a ainsi participé à une table ronde où ont été évoqués les problèmes auxquels font face les jeunes en Hongrie et au Canada et les programmes mis en place pour faire face à ces défis». Atypique lorsqu’on pense à la diplomatie traditionnelle, cette visite a également donné lieu à un forum intitulé “Point des arts” au cours duquel les participants ont discuté des industries cinématographique et culturelle du Canada et de la Hongrie et qui a rassemblé des artistes, des universitaires et des administrateurs pour observer et discuter des enjeux liés à la culture.
La question des visas
Après une première levée des visas en 1994, réintroduits en 2001, le Canada a de nouveau choisi de faire bénéficier la Hongrie de cette mesure en 2008. «Au Canada, la politique des visas est une question de sécurité nationale. A mon arrivée, une étude a été menée par des experts venus du Canada, dont les conclusions étaient favorables à la levée des visas». Mais le nombre de requérants hongrois au statut de réfugiés a alors considérablement augmenté et pose de sérieux problèmes. «D’une part car le Canada, qui accueille beaucoup de réfugiés, a dû faire face à une demande accrue qui ralentit l’ensemble des procédures, ce qui est injuste pour les “vrais requérants”. D’autre part, si la majorité des requérants abandonne leur demande, ils bénéficient dans les premiers temps d’une gamme de services sociaux et, si ces personnes ne retirent pas leur requête, leurs dossiers demeurent actifs. Or le système n’est pas fait pour cela et ces abus du système juridique et social coûtent très cher. C’est pourquoi la loi statuant sur le statut des réfugiés a récemment été modifiée dans le sens d’une simplification des procédures, ce qui devrait permettre de mettre un frein à ce type d’abus. Il est du ressort du gouvernement hongrois d’informer la population. Mais si la réintroduction des visas pour les ressortissants hongrois reste une option, comme cela a été fait en République Tchèque ou au Mexique, elle n’est toutefois pas encore à l’ordre du jour».
Frédérique Lemerre