Une première française à l’Opéra de Budapest: Les Huguenots de Meyerbeer
Curieux personnage que ce Meyerbeer. L’un des compositeurs tout à la fois les plus contestés et les plus populaires de son époque. Voué aux gémonies par Mendelssohn et Schumann, porté aux nues par Liszt et Berlioz. Admirateur et ami de son contemporain Rossini, condisciple de Carl Maria von Weber (1), on dit qu’il inspira entre autres Wagner qui ne se priva pourtant pas de l’éreinter non sans une virulente pointe d’antisémitisme. Même ses critiques les plus déchaînés ne furent pas totalement exempts de louanges à son égard, tel Schumann qui, tout en considérant Les Huguenots comme une pitoyable médiocrité, n’hésita pourtant pas à exprimer son admiration pour tel passage (Duo de la Saint-Barthélémy, également envié par Berlioz). Allez donc savoir!
Parmi les griefs formulés à son égard: avoir, certes, cherché à concilier les styles de l’opéra italien, français et allemand, mais sans pour autant avoir su en réaliser la synthèse et offrant le plus souvent une partition quelque peu décousue, composite. Autre reproche: une orchestration par moments lourde et grandiloquente. Sans parler de la longueur de ses opéras. Et pourtant, aucun opéra, du moins à l’époque (2), n’aura connu, lors de sa création en 1836, un tel succès: plus de mille représentations en neuf mois, repris depuis sur plus de 70 scènes de par le monde, des plus prestigieuses (Berlin, Vienne, Milan, Londres, New York) aux plus modestes ou aux plus variées (Le Caire, la Havane, Jerusalem, Nice). Budapest n’échappant pas à la règle, mais où il n’a pas été donné depuis plus de 80 ans. Une œuvre pourtant difficile à monter. Composé sur mesure pour la scène parisienne, Les Huguenots exige un vaste espace avec foison de décors fastueux. Réclamant par ailleurs une bonne demi-douzaine de chanteurs de haut niveau.
Le mérite n’en était donc que plus grand pour l’équipe de Budapest d’en avoir programmé la représentation (de plus, en langue française) (3). Pour ma part, j’avoue qu’influencé par tant de critiques et de casseroles attachées à sa réputation, j’étais au départ quelque peu réticent. Mais, au vu des noms inscrits à l’affiche et d’un écho plutôt favorable, je finis par me décider. D’autant que, n’ayant pratiquement pas entendu une note du compositeur, le mieux était d’aller se faire une opinion par soi-même.
Et je ne regrette pas. L’intrigue, tout d’abord, particulièrement mouvementée, mais qui peut être résumée en quelques mots. L’action se déroule au XVIème siècle sur fond de guerre de religions. Le comte de Nevers, catholique, doit épouser une autre catholique (Valentine), fille du comte de Saint-Bris. Mais celle-ci est éprise d’un protestant, Raoul de Nangis. Désireuse de réconcilier les deux camps, Marguerite de Valois (future épouse d’Henri IV) fait rompre les fiançailles pour permettre une union entre les deux amoureux. Le drame: suite à une regrettable méprise, Raoul, fou de jalousie, commet un éclat et provoque les catholiques. Suite à quoi Valentine épouse le comte de Nevers avant que les deux amants ne s’aperçoivent de la méprise et se déclarent leur flamme. Mais il est trop tard: le massacre de la Saint-Barthélémy est déclenché à la suite duquel périront les deux amants, Saint-Bris, horrifié, s’apercevant que ses hommes viennent de tuer sa propre fille.
Alors... qu’en fut-il, pour cette présentation au public hongrois? La mise-en-scène, éclairages, costumes et décors, tout d’abord. Une fois n’est pas coutume, nous mentionnerons en premier lieu le nom d’Yvette Alida Kovács qui a conçu des costumes absolument superbes. Les personnages se mouvant sur fond d’une toile peinte, seul élément du décor. Le tout mis en valeur par de fort beaux éclairages, dans une mise en scène sobre agrémentée de trouvailles originales due à János Szikora. János Szikora qui est loin d’être un inconnu, puisque nous avions déjà pu apprécier plusieurs de ses productions par le passé. Un beau spectacle, donc, tout en même temps somptueux (par ses costumes) et sobre (par ses décors). D’autant plus appréciable que l’œuvre de Meyerbeer pourrait facilement tomber dans le grand spectacle tape-à-l’oeil et pompeux. Piège qui fut habilement évité.
Et les chanteurs, dans tout cela? Un ensemble dominé par les deux principaux rôles féminins. Dans le rôle de la reine de Navarre (Marguerite de Valois), tout d’abord, une Klára Kolonits absolument éblouissante – au demeurant fort applaudie. Face à une partition d’une difficulté extrême, chargée de vocalises périlleuses. La soprano colorature s’en est admirablement tirée, avec cette clarté et pureté de la voix que nous lui connaissons. Ici dans un rôle qui lui sied à merveille. L’autre palme revenant à Valentine, interprétée par la soprano Gabriella Létay Kiss, toute de fraîcheur et de tendresse. Les rôles masculins nous ayant semblé légèrement en retrait, notamment un Raoul de Nangis à la voix un peu étroite pour le rôle, notamment dans les aigus. Autre légère réserve: l’orchestre qui, placé sous la baguette d’Oliver von Dohnányi, eût pu gagner en ampleur et en souplesse (notamment chez les cuivres). Il est vrai, confronté à une partition difficile.
Pour conclure, au sortir d’une telle production, quelle opinion se forger de l’œuvre elle-même? Vilipendé par les uns, placé au pinacle par les autres, force est de reconnaître que les Huguenots valent, sinon une messe..., du moins le déplacement. Certes, une partition de valeur inégale offrant par moments des passages empreints de grandiloquence ou d’une banalité purement décorative. Mais... pour combien de merveilleux moments réellement inspirés! Tel ce merveilleux et long duo Raoul/Valentine – tant admiré par Schumann et Berlioz – qui conclut le quatrième acte. Une œuvre remarquable également par sa tension dramatique, à l’exception du premier acte, mais au comble dans les deux scènes finales qui suivront (deuxième et troisième actes). Quant à l’orchestration, toute en couleurs, où, contrairement aux reproches parfois formulés, nous n’avons guère trouvé de lourdeur, mais bien plutôt une grande richesse de timbres.
Les Huguenots, une œuvre qui méritait d’être tirée de l’oubli et ce pour le plaisir d’un public apparemment conquis et non avare en applaudissements. Prochaine et dernière représentation le 9 novembre.
Pierre Waline
(1): pour la petite histoire: lorsque Beethoven dirigea à Vienne sa Bataille de Vittoria (1813), c’est le jeune Meyerbeer qui tenait la grosse caisse. C’en quoi il se fit d’ailleurs remarquer de Beethoven, ce dernier, presque totalement sourd, ayant avoué par la suite n’avoir entendu que la grosse caisse parmi les instruments...
(2): armen et Faust n’allaient être créés que neuf et vingt-trois ans plus tard.
(3): produit à l’occasion du cinquième centenaire de la Réforme.
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