Une école primaire bilingue francophone à Nyíregyháza en septembre 2020 : une première en Hongrie

Une école primaire bilingue francophone à Nyíregyháza en septembre 2020 : une première en Hongrie

Entretien avec Hugues Denisot, attaché de coopération linguistique et éducative

JFB : Quelle place a occupé ce projet de section primaire bilingue francophone dans votre action au sein du Service de coopération et d’action culturelle ?

H. D. : Je tiens à dire que je n’ai pas focalisé mon action sur un credo unique axé sur les sections bilingues. Quand je suis arrivé, il y a quatre ans, je n’avais pas d’idée préconçue. La réflexion générale en matière de politique linguistique portait sur l’enseignement du français Langue 2, sur les sections bilingues des lycées, ainsi que sur le soutien aux écoles qui proposent le français Langue 1 à l’école primaire. Les sections bilingues étaient entrées dans une phase de labellisation qui avait été lancée par la collègue qui m’avait précédé. J’ai donc continué à œuvrer dans ce sens si bien qu’actuellement neuf sections bilingues possèdent le LabelFrancEducation. Il était important d’entretenir et de confirmer l’intérêt porté aux sections bilingues mais il était tout aussi important de soutenir l’enseignement du français LV1, LV2 voire LV3. Notre action est souvent liée à celle des enseignants eux-mêmes, le dynamisme, l’implication d’un enseignant, d’une équipe nous obligent à être présents à leur côté quel que soit le contexte d’enseignement.

JFB : Comment est venue l’idée d’une école primaire bilingue francophone ?

H. D. : Il est vrai, qu’en tant qu’ancien instituteur, j’ai rapidement pensé qu’il serait bien de proposer une école primaire bilingue francophone, d’autant plus que cela existait déjà pour l’anglais et l’allemand et que les collègues enseignant le français dans les écoles primaires hongroises sont particulièrement engagés que ce soit à Budapest ou en province. J’ai rendu de nombreuses visites dans différents établissements en essayant de convaincre les enseignants et les directions. Après ma seconde visite, l’école primaire Apáczai Csere János s’est portée candidate à Nyíregyháza auprès des autorités éducatives hongroises. Nous avons bien naturellement soutenu leur résolution et notre Ambassadeur a fait le déplacement dans la ville pour signifier son intérêt et son attachement au projet. L’école Apáczai Csere János est une école avec a une longue tradition car elle attire depuis vingt ans des enfants pour apprendre le français dès l’âge de six ans, elle accueillait, il y a quelques années, la petite école « Michelin » du réseau de la Mission laïque. La concrétisation du projet est née d’une symbiose entre la direction, les enseignants et les autorités éducatives locales qui ont tous vu l’intérêt d’un tel projet pour les parents, la ville et la région.

JFB : Quand et comment s’annonce l’ouverture de l’école ?

H. D. : La section primaire bilingue francophone débutera en septembre 2020. Après avoir obtenu l’autorisation officielle des autorités éducatives hongroises, elle est actuellement en phase préparatoire : mise en place de l’équipe enseignante, élaboration du curriculum. La partie hongroise finance l’enseignement. De plus, la Fondation Franco-Hongroise pour la Jeunesse, soutenue par le service culturel de l’Ambassade et l’Institut français, prévoit d’engager un enseignant français natif dès le mois de janvier 2020 pour aider à la préparation pédagogique et à la promotion du projet auprès des familles. Au service culturel, nous prévoyons un soutien pédagogique à travers des bourses pour les enseignants, des dons de livres et autres ressources documentaires. Nous œuvrons aussi pour que la section respecte dès son ouverture les conditions pour obtenir la labellisation LabelFrancEducation même si cela se concrétisera après un minimum de 3 années d’existence.

JFB : En pratique, en quoi consistera cette section bilingue dans une école primaire ?

H. D. : En fait, il faudrait dire section trilingue pour rendre compte précisément de la stratégie adoptée. En effet, au niveau parental, l’école primaire Apáczai Csere János a su offrir une très bonne stratégie qui repose sur des faits établis par l’expérience. Il s’agit de proposer le français comme première langue vivante renforcée avant l’apprentissage de l’anglais. Les enfants sont capables d’apprendre très tôt deux voire même trois langues étrangères et il vaut mieux commencer par la langue la plus rare au sens où le contact avec l’anglais est très facile voire incontournable. On constate peu de différence de niveau de langue chez un enfant qui aura commencé l’anglais en première ou en deuxième langue. En revanche, l’écart est grand entre le niveau d’un enfant qui aura commencé le français ou une autre langue que l’anglais comme première ou comme deuxième langue. Dans ce cas, si on a commencé plus tôt, on y arrive mieux. J’ai pu vérifier cela en tant que professeur de langue au niveau primaire avec les enfants. Bref, je pense qu’il faudrait plutôt parler ici de Section trilingue : le français est mis en place en premier dès l’âge de six ans avec un programme renforcé puis à neuf ans les enfants commencent l’anglais si bien qu’ils atteignent aussi un niveau équivalent à l’anglais Langue 1. Cela rassure les parents de savoir que l’anglais ne sera pas « sacrifié » et cela les intéresse de voir que leurs enfants peuvent ainsi se démarquer de leurs camarades.

JFB : Dans ce type de projet au niveau primaire, ne faut-il pas prévoir aussi comment la continuité pourra être assurée dans le secondaire ?

H. D. : Effectivement, c’est d’ailleurs une question qui serait à approfondir pas seulement en Hongrie mais dans tous les pays pour les élèves qui ont choisi le français comme première langue à l’école primaire. Actuellement, les élèves qui se portent candidats pour les lycées bilingues en Hongrie sont tous obligés de faire une année zéro, donc de partir du niveau débutant complet, sans tenir compte de l’acquis linguistique éventuel dans le primaire. Tous acceptent cet état de fait. Il est vrai que si on crée maintenant une section primaire bilingue francophone, il faudrait imaginer dès le début le niveau à atteindre à la fin du cycle primaire, un niveau B1 oral, un très bon A2 écrit et prospecter si un lycée dans la ville pourrait tenir compte de cet acquis. Il faudrait peut-être que nous allions voir comment se passe la continuité pour les sections primaires anglo-hongroises et nous en inspirer.

JFB : Que pensez-vous d’une école primaire bilingue francophone à Budapest ?

H. D. : Cela serait tout à fait pertinent et on pourrait l’envisager à l’avenir. Je pense que cela correspond aux besoins de certaines familles. Dans la capitale, il y a beaucoup de couples mixtes franco-hongrois qui souhaiteraient que leurs enfants puissent bénéficier d’un tel enseignement. Qui plus est, il y a aussi des couples hongrois qui ont été expatriés dans des pays francophones ou qui se préparent à l’expatriation et qui seraient certainement intéressés par une telle possibilité. Il y a déjà une école primaire qui propose un enseignement du français dès la première année du primaire. Il s’agit de l’école Gárdonyi Géza dont la directrice et les enseignants font un travail excellent en matière d’enseignement du français comme le démontre le nombre de leurs élèves titulaires du diplôme international DELF prim attestant de leur excellent niveau en français.

JFB : Après quatre ans à Budapest, vous vous apprêtez à prendre un nouveau poste, avant de partir que souhaiteriez-vous dire ?

H. D. : J’espère modestement avoir aidé les enseignants dans leur travail et les avoir confortés dans leurs pratiques tout en les aidant à acquérir de nouveaux savoir-faire. J’espère avoir participé à la motivation de tous. J’ai beaucoup circulé dans le pays et je peux dire que le niveau de l’enseignement du français est de très bonne qualité, porté par des enseignants dévoués, travailleurs et particulièrement attachés à leurs élèves. J’emporte avec moi de très beaux souvenirs de moments partagés avec eux et je leur souhaite tous les bonheurs du monde dans la langue de Molière.

Propos recueillis par Catherine Tamussin

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