Une dégustation à la française

Une dégustation à la française

À l’époque où je travaillais encore comme sommelière à Paris, je consacrais mes lundis aux dégustations. Beaucoup de restaurants sont fermés le lundi dans la capitale, donc les vignerons organisent les dégustations ce jour-là.

C’est ainsi que j’ai pu découvrir les vins d’Alsace, du Rhône ou du Languedoc. Mais ces dégustations n’étaient pas seulement de simples dégustations : elles étaient plutôt des voyages culinaires. Nous rencontrions les vignerons, parlions de leurs vins, du terroir, des cépages, nous avions la possibilité de goûter de rares millésimes, et le plus important : nous goûtions les vins avec des plats, toujours préparés par de grands chefs connus et reconnus.

Le 17 février dernier, les vignerons d’Eger ont organisé une très belle dégustation à l’Académie des Sciences. Ce jour-là, 15 vignerons sont venus pour faire déguster leur vins.

Eger, vignoble du nord de la Hongrie, n’a jamais été aussi reconnu que Villány.

Le vignoble d’Eger s’étend sur 22.162 hectares mais seulement 4395 sont plantés en vignes aujourd’hui. Avant la maladie du phyloxera, seuls les cépages blancs existaient dans cette région. Puis, avec la plantation de nouveaux cépages, les vignerons se sont rendus compte que cette région était parfaite pour l’élaboration des vins rouges. Le Egri Bikavér (le sang de taureau), un vin mondialement connu, était exporté avant 1989 en ex U.R.S.S., où la quantité comptait plus que la qualité. Malgré sa qualité moyenne, ce vin est considéré comme un vin prestigieux hongrois. Aujourd’hui, avec les normes imposées à l’A.O.C. dans la région, on essaie de différencier les Bikavér en les nommant selon leur qualité : Egri Bikavér ou Egri Bikavér Superior. Il est même en projet de créer une troisième catégorie, le Egri Bikavér Grand Superior. Ce système aide les consommateurs à reconnaître les vins de qualité de la région.

Beaucoup de connaisseurs disent qu’Eger est la Bourgogne hongroise. Mais si l’on connait bien cette région, l’on se rend compte que ce n’est pas vraiment le cas. Même si du pinot noir y a également été planté, comme en Bourgogne, ce vin n’a aucune similitude avec les vins rouges de Bourgogne.

Quels sont les facteurs du succès d’une bonne dégustation? Le lieu, les invités, les viticulteurs, les vins, l’animation.

Le lieu : il a été soigneusement et bien choisi, à l’Academie des Sciences, sur la place Roosevelt, un lieu prestigieux. Les fenêtres de la grande salle donnent sur le Danube avec une magnifique vue sur le Palais Royal et le quartier du château.

Les invités : tout ceux qui comptent dans le métier du vin en Hongrie aujourd’hui étaient invités à cette dégustation. Le matin et le début d’après-midi ont été consacrés à l’accueil des professionnels, puis le public a pu participer en payant un droit d’entrée.

Après un concours organisé entre les viticulteurs de la région, seuls les 15 meilleurs ont pu participer à cet événement. Les vins de ces 15 viticulteurs ont été soumis à un jury, qui a sélectionné les 3 meilleurs vins de chaque vigneron. Au lieu de nous faire goûter toute leur gamme, on a seulement dégusté les meilleurs. De petits cahiers, posés sur chaque table, facilitaient le travail des dégustateurs (si on peut appeler cela du travail !).

Nous sommes arrivés vers 11 heures, et la salle était déjà bien remplie avec tout le beau monde de la profession. Impossible de parler de tous les vins que l’on a dégustés, je vous citerai juste quelques exemples pour vous mettre l’eau à la bouche.

Le grand “outsider” de cette région est Imre Kaló. Ses vins sont très spéciaux et très bons à la fois. Il fait des vins d’exception peu typiques dans la région. Son Leányka 2001 était superbe. Comme les vendanges ont eu lieu au mois d’octobre, ce vin a des notes de surmaturité au nez, avec un degré d’alcool assez élevé, mais très riche en bouche.

La famille de Gál Tibor était présente aussi, après la mort accidentelle de ce vigneron très doué, ce sont sa femme et ses fils qui ont repris l’exploitation. Leur Viognier 2005 a beaucoup évolué depuis l’année dernière, il s’est ouvert, il est plus flatteur, avec des notes d’abricot et de violette. Il ressemble beaucoup à un Condrieu.

Un autre vigneron remarquable: József Simon. Son Bikavér 2003 était l’un des meilleurs que j’aie goûté. Couleur rubis, avec des notes de cerises et de pruneaux au nez. Il reste longtemps en bouche, avec des tannins bien fondus.

Mon vigneron préféré reste tout de même Vincze Béla, qui était présent, entre autres, avec son Zweigelt 2003. Ce vin assez léger est très fruité, avec beaucoup de fraîcheur en bouche.

Le seul petit point faible de cette très belle dégustation : le stand de fromages. Il n’était pas attractif car le fromager n’avait pas envie de transmettre sa connaissance aux autres. C’est bien dommage, car il y avait beaucoup de gens intéréssés. En plus, lorsque l’on goûte des vins, on recherche toujours leur association avec les plats afin de trouver la place du vin dans notre cuisine. Surtout lorsque l’on parle d’une région qui a de grandes traditions culinaires.

Enfin une initiative pour faire connaitre les vins d’une région ! Et enfin quelqu’un a reconnu qu’il est plus facile de présenter une région en entier que de présenter les vignerons de manière isolée.

En sortant de cette dégustation, on a trouvé un banc au bord du Danube en plein soleil pour une petite sieste après une journée bien difficile…

 

Katalin Ujbányai

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