Un refuge pour les sans abris
Rencontre avec Gábor Iványi, président d'Oltalom
Après les décisions récentes de la municipalité de Budapest concernant la question des sans- abris, les associations d'aide aux SDF sont nombreuses à être montées au créneau pour critiquer l'action de l'État. Gábor Iványi, pasteur évangéliste, président de l’assocation caritative Oltalom et de l'université de théologie John Wesley, qui vient en aide aux sans abris depuis 22 ans, a bien voulu répondre à nos questions.
J. F. B. : Pouvez-vous nous raconter l'origine de l'association Oltalom?
Gábor Iványi: Pendant la période communiste, il était interdit de fonder des associations en Hongrie. Dans les années 1970, j'ai rencontré la sociologue Ottilia Solt,, à qui on avait confié la direction d'une enquête sociologique sur la pauvreté en Hongrie. Les résultats étaient tellement accablants que le parti communiste a interdit la publication des recherches. En effet, à cette époque, l'État socialiste niait l'existence de problèmes sociaux, alors qu'en réalité, 20% de la population hongroise était pauvre, et 10% était dans une situation d'extrême pauvreté, notamment parmi la minorité tsigane. À cause de la censure, nous ne pouvions pas nous exprimer dans les médias, c'est pourquoi nous avons fondé clandestinement notre propre journal intitulé « Beszélô », ce qui signifie le parloir, dans lequel nous avons publié les résultats de nos recherches sur la pauvreté. Notre objectif était d'informer la société sur les problèmes sociaux qui touchaient la Hongrie. Ce journal existe encore aujourd'hui et paraît mensuellement, légalement bien sûr!
Après la chute du régime en1989, alors que j'étais pasteur à Budapest, nous avons fondé, avec d'autres membres de l'Église [NDLR: évangéliste], l'association Oltalom, ce qui signifie abri en hongrois. L'idée initiale était de s'occuper des familles mono-parentales. Toutefois, l'année 1989 avait apporté un bouleversement dans toute l'Europe de l'Est. Pendant la révolution en Roumanie, de nombreux réfugiés passaient par la Hongrie pour rejoindre l'Allemagne, et il fallait leur venir en aide. D'autre part, ce fut le début du phénomène des sans-abris. La pauvreté existait déjà sous le communisme, mais l'ancien régime, même s'il nous déplaisait, disposait d'un meilleur système social, avec par exemple des foyers pour ouvriers, des orphelinats. Tout le monde avait un emploi.
Après 1989, les problèmes de pauvreté sont devenus visibles. Jusque là les pays membres du bloc soviétique commerçaient sur une sorte de marché commun, qui garantissait un revenu aux agriculteurs. Quand il a disparu, beaucoup de gens ont perdu leur emploi, les foyers pour ouvriers ont disparu, ainsi que les logements sociaux, le coût des transports a augmenté,et il n'y avait plus de travail garanti par l'État. C'est comme ça qu'Oltalom a commencé à plus s'occuper de SDF et de réfugiés. L'explosion du nombre de SDF a été comme un choc pour la société, tout le monde en avait peur, parce qu'il n'y avait aucun système prévu pour s'occuper d'eux.
J.F.B. : Vous offrez plus qu'un abri, qu'elle est l'ambition de votre mission?
G. I. : Nous essayons d'offrir des soins adaptés aux sans abris. C'est important puisque dans les hôpitaux normaux, on les chasse rapidement, avant leur rétablissement complet. Bien souvent être à la rue implique d'autres problèmes: des problèmes d'hygiène - beaucoup ont des poux-, des problèmes de comportements et d'insertion.
Pour cette même raison, nous avons mis en place un programme intitulé « Sport et éducation pour les sans-abris », qui est un réel succès. Notre équipe de football participe régulièrement à des rencontres de « football de rue », et prend part chaque année à la coupe du monde des SDF. Ils iront en France cette année. L'équipe s'est déjà rendue en Australie, en Afrique du Sud, au Brésil, ... Il y a aussi du ping-pong et un club de boxe qui a remporté la médaille d'argent au championnat de Budapest !
Nous avons un projet plus global que l'aide d'urgence, et une mission d'éducation. C'est pourquoi nous avons installé une maternelle dans l'université, qui accueille une quarantaine d'enfants. Nous faisons cependant face à des difficultés: certains enfants n'avaient jamais mangé de viande auparavant, ou ne mangent pas entre le vendredi après midi et le lundi matin. Ils manquent aussi de jouets et de vêtements, que nous leur distribuons. Après la maternelle, nous envoyons les enfants dans une autre école primaire de Budapest prévues pour les enfants pauvres.
Nous avons commencé avec cette école maternelle, et aujourd'hui nous gérons 14 écoles dans tout le pays, dont 6 écoles maternelles. Il y a également quelques classes de lycée et des formations professionnelles. En tout, nous avons environ 3000 étudiants.
De nombreux SDF n'ont jamais fini leurs études primaires, voire certains sont analphabètes. Nous avons ouvert des classes pour eux aussi. Pour la première fois cette année, 7 SDF ont eu leur bac. L'un deux, qui vit sur l'ile Margrit dans son sac de couchage, a même été accepté dans une école supérieure qu'il intégrera à la rentrée. Pour l'instant il travaille chez nous comme réparateur informatique.
J.F.B. : Comment a évolué la situation des SDF ces vingt dernières années?
G. I. : La situation a vraiment empiré, et aujourd'hui c'est presque désespérée. Le plus grave, c'est que les SDF ne sont pas forcément visibles, dans les rues. Il y a environ 50 000 personnes à la rue en Hongrie, ou qui vivent en foyers, mais on compte au moins 500 000 « SDF latents », c'est à dire des personnes dans une situation précaire, menacées d'expropriation dès l'instant où elles seront au chômage. Aujourd'hui le chômage touche 1 million de personnes en Hongrie. La Hongrie connait aussi le phénomène des travailleurs pauvres. Dans une famille avec deux salaires, en général un des salaires part entièrement dans le paiement du loyer, puisque peu de personnes sont propriétaires.
J.F.B. : Quelle est votre impression sur l'action de l'État en général?
G. I. : Je suis assez critique de l'action du gouvernement. Le nouveau maire de Budapest veut punir tous ceux qui vivent dans la rue en leur faisant payer une amende de 100 000 forints pour « usage inapproprié de la rue ». Or, un SDF ne possède jamais 100 000 forints, et puisqu'il ne peut pas payer, il est emmené en prison. Ce n'est pas forcément un mal pour les SDF, surtout en hiver, mais cela revient beaucoup plus cher à l'État. Un jour en prison coûte environ 5 000 forints à l'État, alors qu'un jour en foyer coûte, lui, environ 1 000 forints.
En fait, c'est le système lui-même qui est mauvais: si quelqu'un vient en foyer, il a besoin de formes multiples d'aides : problèmes de travail, psychologiques, de santé, de réinsertion. Il n'y a aucune action de prévention pour essayer de venir en aide aux plus démunis avant qu'ils soient à la rue. Il n'existe pas vraiment de logement social en Hongrie. Il n'y a que 4 % de logements à loyer modéré. Prenons l'exemple d'une famille de 4 membres qui se retrouve à la rue suite au chômage des parents; les 2 enfants seront placés dans une institution de l'État et les 2 parents deviendront sans-abris. Donc si on fait le calcul, cela coûte quatre fois plus cher au gouvernement que s'il payait simplement l'appartement de la famille. L'État ne veut pas comprendre qu'il coûterait moins cher d'agir en amont que de gérer les sans abris.
Pour notre part, depuis l'an dernier, avec la crise économique qui a aussi touché la Hongrie, le nouveau gouvernement a beaucoup diminué son financement. L'État pense que si Oltalom ferme ses portes, les sans-abris quitteront l'arrondissement. En réalité aujourd'hui beaucoup de SDF se sont réfugiés dans les forêts autour de Budapest.
Cécile Pollart
L’association caritative Oltalom
En récupérant d'anciens locaux abandonnés confiés par la municipalité, l'association a ouvert un premier foyer, au 9 Dankó út. Elle a par la suite acheté d'autre bâtiments pour s'agrandir. Aujourd'hui la structure héberge autour de 500 personnes par nuit:
- Foyer permanent (100 à 200 places)
- Foyer temporaire pour travailleurs (21 places)
- Foyer pour les réfugiés (25 places)
- « La rue chauffée », ouverte 24/24, accueil d'urgence (300 places)
- Foyer pour femmes battues (30 places)
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