Un pays qui fait débat !
Colloque sur les évolutions en Hongrie
La Hongrie, depuis l’arrivée au pouvoir du Fidesz en 2010, fait beaucoup parler d’elle avec des orientations politiques radicalement différentes du précédent gouvernement, une nouvelle loi fondamentale controversée et globalement beaucoup de réformes qui interrogent.
C’est pourquoi le groupe d’amitié parlementaire France-Hongrie, présidé par le sénateur Michel Billout et l’Ambassade de Hongrie ont pris l’initiative d’organiser un colloque d’une journée afin d’analyser la situation magyare sous plusieurs aspects : constitutionnels, économiques ou encore sociaux. Le principe : pas d’auto censure ni de procès d’intention, s’en tenir aux faits…
Trois tables rondes ont été animées par des acteurs publics hongrois, mais aussi français (universitaires, constitutionnalistes, ambassadeurs, entrepreneur,…), témoins des évolutions de ce pays. Force est de constater que les points de vue divergent dès lors que la politique actuelle est « mise sur le tapis ».
La Hongrie dans l’Europe
Les événements récents suscitent de nombreuses questions sur sa place au sein de l’UE : chaque pays peut-il exprimer à sa manière son adhésion à l’Europe ? C’est bien ce que revendique aujourd’hui le gouvernement Orbán.
René Roudaut relève les changements majeurs intervenus depuis 2010, (administratifs, fiscaux, économiques,…) suite à l’accession au pouvoir du FIDESZ avec une majorité écrasante. Selon lui, si les Hongrois ont adhéré massivement aux positions du Fidesz, c’est parce que l’enthousiasme de 1990, d’être un pays en tête dans l’Europe centrale, ne s’est pas traduit dans la vie économique, sociale.
La rhétorique très nationale du gouvernement Orbán, et son discours ambivalent vis-à-vis de l’Europe, déstabilise aujourd’hui les observateurs et acteurs de la société hongroise et de la communauté internationale. A la question, « les lignes rouges ont-elles été franchies ? », René Roudaut acquiesce. La Hongrie est même plutôt en zone grise, ses décisions ne sont jamais contraires aux valeurs de l’Europe mais donnent une impression de bétonnage de la situation et rendent une alternative politique difficile. A quoi s’ajoute une communication déplorable qui défend le sentiment que personne ne comprend les Hongrois. Pour Paul Gradvohl, historien, directeur du centre de civilisation française et d’études francophones de l’Université de Varsovie, la Hongrie souffre d’une crise de légitimité, en raison notamment de la règle de la majorité des 2/3 au Parlement, utilisée de manière récurrente. Une partie des évolutions et dérives actuelles s’appuie sur les contradictions de l’UE. La notion de valeurs communautaires est donc ambiguë, et le gouvernement Orbán a su s’engouffrer dans cette brèche.
Comment expliquer ces rapports ambigus entre la Hongrie et l’UE ? Le poids de l’histoire est incontournable quand on parle de ce pays, souligne René Roudaut, une histoire nourrie d’invasions, d’un sentiment d’isolement au sein de l’Europe, à quoi s’ajoute une langue unique. L’épisode de Trianon n’est qu’une illustration de ce sentiment selon lui. Il y a donc une spécificité hongroise. Pour Michel Prigent, historien, professeur à l’Institut des langues et civilisations orientales, la Hongrie a enchaîné les tragédies, se trouvant dans le camp des vaincus à plusieurs reprises (Première et deuxième guerres mondiales, 1956..), la victoire survient en 1989/90. Mais après cette transition, le gouvernement dédiabolise ce qu’a pu être le régime communiste, comme les précédents régimes avaient pu évacuer les questions liées au passé et aux échecs de la Hongrie, nostalgiques d’une grandeur enfuie. La Hongrie n’est donc pas allée au fond des choses dans l’analyse de ses passés successifs, des ses traumatismes, et a contribué même à couper le pays de ses repères culturels et moraux selon György Granasztói, historien, ancien ambassadeur auprès de l’OTAN et de l’UE. Paul Gradvohl, note le lien établi dans le préambule de la nouvelle constitution hongroise avec la mythologie, idée selon laquelle les Hongrois ont inventé la démocratie. Les valeurs passéistes sont donc au goût du jour, et renouent avec la peur de l’invasion (de Bruxelles cette fois-ci !). Elles mettent en exergue par exemple la question des minorités hongroises, un thème central pour le gouvernement...
Une certitude pourtant, et malgré ces ambiguïtés, l’ancrage européen de la Hongrie est là :1848, 1956 et 1989.
La dimension économique et sociale de la crise
Zsigmond Járai, économiste, ex-président de la Banque Nationale de Hongrie ouvre ce deuxième temps-fort sur un ton très optimiste, dans un contexte où vient d’être annoncée la sortie de la procédure de déficit excessif pour la Hongrie. D’après lui, l’économie hongroise est une économie moderne, intégrée dans l’UE. La mise en œuvre de mesures économiques jugées « non orthodoxes » (taxes sur les banques…) ont eu vocation à relancer l’emploi et permettre la croissance. Il était indispensable pour le gouvernement Orbán de réduire le déficit public (en dessous des 3%), tout en préservant une stabilité sociale.
László Csaba, économiste, professeur à l’Université d’Europe Centrale de Budapest, revient sur la notion de crise présente dès 2005, une crise de croissance et d’efficience sur le marché du travail, avec des répercussions importantes sur les retraites, le taux de scolarisation, le taux d’activité, particulièrement chez les femmes. M. Csaba considère que les mesures gouvernementales ont eu pour conséquence d’éteindre le feu seulement, mais, au vu de la situation, une croissance ne peut être envisageable qu’entre 2015 et 2018.
Jacques Maire, PDG d’AXA Hongrie entre 2009 et 2012, donne sa vision de l’économie au travers de son expérience, un mandat initial de développement qui s’est transformé sous le gouvernement Orbán en mandat de restructuration et liquidation. Pour lui, la manière dont est utilisé l’outil fiscal est surprenante : l’impôt à taux unique (16%) n’a fait qu’enrichir les plus riches et augmenter le coût du travail pour les non qualifiés. L’augmentation du taux de TVA à 27% pèse lourdement à terme sur la tête du consommateur. A quoi s’ajoute la réduction des aides sociales, et la baisse de la durée de l’indemnisation du chômage à trois mois. Il mentionne parallèlement la réforme des fonds de pension, captés par l’Etat pour rembourser la dette publique, une décision qui ne change en rien l’état de la dette hongroise. Il s’agit surtout, selon M. Maire, d’une bombe à retardement qui compromet le financement des retraites à long terme. Enfin, la Hongrie ne joue aucun rôle dans son taux de change, lié au taux de change de l’UE, ce qui constitue une vulnérabilité importante pour le pays. Proposer de convertir la dette des clients (prêt en devise étrangère en prêt en forint), comme l’a imposé le gouvernement, ne favorise que ceux qui ont la capacité de remboursement. Il apparaît que le pilotage économique a conduit de nombreuses entreprises internationales dans une situation d’endettement majeur, remettant en cause leur productivité. Ces mesures ont pour conséquence directe une absence d’attractivité du territoire hongrois pour les investissements étrangers et une baisse de l’activité de manière générale.
La question de la cohérence du programme économique hongrois oppose par conséquent deux visions : ceux pour qui l’ensemble des réformes d’austérité conduites par le gouvernement Orbán ont vocation à conduire la Hongrie vers une sortie de crise, et permettra à ce pays de maintenir sa position dans l’UE ; les autres pour qui les perspectives de relance économique reposent avant tout sur la capacité du gouvernement actuel à faire un accueil acceptable aux entreprises étrangères, mais également sur un réajustement de sa politique sociale.
Les transformations constitutionnelles
Une certitude, la nouvelle Loi fondamentale adoptée par la Hongrie est au cœur des polémiques. La commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe visant à promouvoir l’esprit du droit constitutionnel de l’Union européenne, regarde à la loupe son 4ème amendement, très critiqué. László Trócsányi, ambassadeur de Hongrie en France et constitutionnaliste défend cette constitution qui grave dans le marbre la mémoire du pays, la fierté nationale, et son projet pour l’avenir. Une telle constitution aurait dû voir le jour lors du changement de régime au début des années 90, mais le projet a avorté.
Patrice Gélard, sénateur et constitutionnaliste, souligne la notion de citoyenneté hongroise, très spécifique. L’autrichien Karl Renner disait que le citoyen hongrois est Hongrois partout. Pour lui, la constitution hongroise choque car elle ne correspond pas aux canons d’une constitution européenne : déclaration des droits et libertés différente, pas de bicamérisme et donc absence de contre-pouvoir, difficulté à réviser la constitution nécessitant la majorité des 2/3, plusieurs dizaines de domaines également peuvent être régulés par des lois organiques adoptées également à la majorité des deux tiers, des notion sur le fœtus ou le mariage limitatives…
Bertrand Mathieu, président de l’association française de droit constitutionnel, s’interroge sur le débat que révèle cette constitution : un débat démocratique d’abord : la commission de Venise signale l’insuffisance de consensus dans la procédure constitutionnelle. Un débat entre valeurs communes et identité nationale ensuite : la commission de Venise a-t-elle toute légitimité à intervenir sur la souveraineté des Etats-membres, sur leurs compétences normatives, leurs valeurs identitaires ? Le processus de l’avis de la commission de Venise doit faire l’objet d’une réflexion aujourd’hui de la part des juristes, d’autant plus que ses décisions sont reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Hommes. Tamás Korhecz, professeur de droit auprès de l’université d’Europe centrale, insiste sur la question des minorités dans la constitution. La Loi fondamentale a apporté à ce titre des changements qui ont suscités des remarques, notamment de la part des pays limitrophes de la Hongrie. Elle apporte des réponses aux traumatismes engendrés par le découpage du Traité de Trianon, puisqu’un tiers des Hongrois se sont retrouvés hors-frontières. Elle donne une définition culturelle, linguistique à la nation et établi des liens juridiques avec les minorités hongroises vivant dans le bassin des Carpates et au-delà. M. Korhecz considère que l’acceptabilité de ces mesures dépend de la confiance que les Etats s’accordent les uns les autres.
La discussion reste donc ouverte sur cette constitution hongroise et comme le souligne l’Ambassadrice d’Autriche en France, Ursula Plassnik, l’UE n’a pas de constitution. Le Traité de Lisbonne intègre des principes constitutionnels sur les droits de l’homme et libertés fondamentales, mais on n’a pas trouvé qui contrôle les constitutions nationales. That is the question !
Mais les Hongrois, comme le rappelle M. Gradvohl, ont une vraie capacité à rebondir. L’avenir nous le dira…
Gwenaëlle Thomas
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