Un homme à abattre

Un homme à abattre

Aperçu du sort réservé à Ferenc Gyurcsány.

 

Les députés de la majorité ont voté, dans la nuit du 13 septembre, la levée de l'immunité parlementaire de l'ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány afin que ce dernier puisse répondre des accusations qui pèsent sur lui dans le cadre de l'affaire Sukoró.

 

 

Déjà sous le gouvernement de Gordon Bajnai, M. Gyurcsány avait été auditionné et forcé de s'expliquer sur l'inégalité du contrat d'échange entre M. Joav Blum et l'Etat hongrois ayant eu lieu lorsqu'il était au pouvoir. Le premier avait alors cédé au deuxième sa propriété de Monor-Pilis en échange d’un terrain de 70 hectares situé à Sukoró dans le but d’y construire un casino. Il apparaît aujourd’hui que la valeur des deux biens ait été mal estimée, dans de telles proportions que l’on ne peut croire à l’étourderie. L’écart entre les deux biens a en effet été chiffré, après coup, à 1,328 milliards de HUF. Ce sont les gestionnaires de la fortune de l'État hongrois qui ont signé le contrat : M. Miklós Tátrai, Directeur de la Magyar Nemzeti Vagyonkezelô, et son directeur juridique, M.Zsolt Császy. Une commission a élaboré un rapport dans lequel elle soutient que cette erreur volontaire n’a pu se faire sans contrepartie et que c’est le Premier Ministre de l’époque, M.Gyurcsány, qui en aurait décidé ainsi. Bien sûr, l'intéressé nie tout en bloc et avance une pure vengeance politique provenant des hommes forts du moment. Quoi qu'il en soit, l'homme, que certains considèrent comme l'ennemi public numéro un, devra comparaître prochainement devant la justice pour abus de pouvoir. La levée d'immunité intervient à un moment où M. Gyurcsány commence à regagner la confiance de son parti et donc apparait de plus en plus comme une menace pour le Fidesz.

Le Premier ministre actuel ne compte pas se contenter de profiter des déviances présumées de son ennemi, il entend également l'achever idéologiquement en le rendant responsable de l'endettement du pays. Cela, non pas en menant une propagande politique mais en voulant en faire un chef d'accusation. Un peu à la manière de l'ancien Premier ministre islandais, M. Gyurcsány se verrait reprocher la mauvaise gestion du pays et l'endettement qui s'en serait suivi. La situation hongroise est cependant différente de celle qui se manifeste en Islande, en ce que la Hongrie n'a pas eu à connaître la faillite de son système bancaire. Certes, lorsque M. Orbán est arrivé au pouvoir, les finances publiques n'étaient pas en bonne état, malgré la rigueur que son prédécesseur, M. Gordon Bajnai, avait affligé aux hongrois. En avril 2010, le taux d'endettement se situait aux alentours de 80% du PIB alors qu'il était inférieur de 20 points au moment de la nomination de M. Gyurcsány au poste de Premier ministre en 2004. Premièrement, cette évolution n'a rien d'exceptionnel si on la compare à celle des autre pays principaux européens en matière d'endettement public au cours de la même période. Deuxièmement, parler d'endettement public sans parler de la manière dont on finance la dette ne veut absolument rien dire. En effet, le taux d'endettement étant calculé en rapportant la dette au PIB d'une année alors que le financement de la dette se fait majoritairement par des prêts à échéance supérieure à un an, les chiffres que banquiers, économistes, médias de masse et autres experts se plaisent à avancer sont dénués de tout sens. Toutefois, si la justice venait à découvrir que cette augmentation de l'endettement est due à une pure et simple volonté de satisfaire l'intérêt personnel de M. Gyurcsány, alors l'initiative de M. Orbán prendrait tout son sens. Bien qu'on présume l'ancien Premier ministre d'être impliqué dans de nombreuse affaires de corruption, s'imaginer qu'il ait pu faire augmenter le taux d'endettement de la Hongrie en empochant la différence relève du fantasme. Cette hypothèse écartée, on ne peut que voir en l'échec de M. Gyurcsány à mener un vrai projet pour son pays le fait qu'il a été pendant de nombreuses années le spectateur et le relai d'une effroyable machine ne fonctionnant uniquement que dans l'intérêt de la sphère financière. Si M. Orbán avait un réel projet politique, il condamnerait cette machine et ne se contenterait pas de ce type de petites vengeances politiques personnelles, dont l'électorat Fidesz est friand, mais dont l'avenir du pays ne bénéficiera pas.

Yann Caspar

 

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