Un Don Juan audacieusement rajeuni sur la scène de Budapest: fraîcheur et séduction

Un Don Juan audacieusement rajeuni sur la scène de Budapest: fraîcheur et séduction

Suite aux éloges particulièrement chaleureux parus dans la presse américaine, qualifiant la production de „brillante, merveilleuse et rafraîchissante” et la mise en scène de… captivante, créative et audacieuse.” (New York Times), nous pouvions nous attendre à vivre ce soir un véritable événement qui fera date. Tel fut le cas.

Une production entièrement conçue et dirigée par le chef Iván Fischer dont on a déjà pu apprécier, outre les qualités de musicien, les dons de metteur en scène (1). Mais innovant ici peut-être davantage encore. Pour cette représentation donnée dans l’auditorium du Palais des Arts de Budapest (Müpa), une scène entièrement vide: simple estrade de 30 m2 pourvue de deux podiums. Rien d’autre, ni meuble, ni accessoire. Iván Fischer de s’en expliquer. Se référant à un ouvrage de Peter Brook paru jadis sous le titre de „Espace vide” (2),  le chef nous dévoile sa conception de l’ouvrage. Pour lui, Don Juan, dans son obsession, n’a d’yeux que pour les corps et la chair, sans s’attarder sur les objets qui l’entourent, ni même les apercevoir. Meubles (tables, sièges, fenêtres) représentés ici par des acteurs, sorte de tableau vivant. Voilà effectivement une initiative audacieuse et risquée. Notamment si l’on sait que Fischer a dirigé cet opéra à maintes reprises par le passé dans des mises en scène classiques (Zeffirelli, Adrien Noble, J.P.Ponnelle). Et pourtant, une trouvaille qui a semblé fonctionner à merveille.

 

 

L’intérêt: nous libérer de tout encombrement scénique pour mieux nous concentrer sur le chant et le jeu des acteurs. D’aucuns trouveront l’idée saugrenue, voire par trop austère et ennuyeuse. Il n’en fut rien, bien au contraire! Déjà du fait que ces figurants (élèves de l’École d’Art dramatique) étaient quasi constamment en mouvement, participant même par moments au jeu. De plus, assumant le rôle des chœurs, au demeurant fort bien chantés. Contribuant également à animer l’action: le jeu des éclairages sur fond noir, sans cesse changeants, concentrant l’attention sur les acteurs.

 

 

Et les chanteurs, dans tout cela? Parfaits. Notamment le baryton britannique Christopher Maltman dans le rôle-titre et sa jeune compatriote Lucy Crowe en Donna Elvira („L’une des grandes sopranos lyriques de sa génération”, Harmonia Mundi), tout bonnement admirables. Mais les autres également (avec peut-être une mention spéciale pour Leporello brillamment incarné par le baryton portugais José Fardilha). Des voix à la fois puissantes, mais claires et nuancées, bien articulées. Un jeu également irréprochable, tout en mouvement, dans des costumes de ville simples, mais élégants, les figurants étant, quant à eux, tout vêtus de blanc. Notre impression générale: des personnages humains et proches et un Don Juan pour une fois débarrassé de son piédestal, qui nous serait presque sympathique.

 

 

Au-delà de la mise en scène et du chant, c’est aussi à l’orchestre que reviennent nos éloges. Certes, un Orchestre du Festival de Budapest (BFZ), considéré comme l’une des principales formation au monde qui nous a déjà habitué au meilleur, mais jusqu’ici davantage en concert. Don Juan: une partition particulièrement difficile et exigeante, du fait qu’elle alterne quasiment sans transition passages intimes et mouvementés. Drame et légèreté. „Légèreté”, un qualificatif que nous donnerions volontiers au jeu de l’orchestre. Rassemblé en grande formation et nous offrant pourtant une sonorité parfaitement claire, tout en nuances. Et offrant un équilibre sonore parfait entre fosse et scène, du fait de la configuration de la salle, ce qui n’est pas toujours le cas à l’Opéra. A signaler aussi, la petite formation qui intervient à deux reprises sur scène (le menuet qui annonce la fin du 1er acte et le fameux accompagnement du banquet sur la fin de l’œuvre). Une prestation particulièrement délicate - de l’aveu des musiciens eux-mêmes, ainsi isolés de l’orchestre et sans partition. De plus, se mêlant aux acteurs et s’associant au jeu et non figés, ce qui ne paraît pas a priori évident.

 

 

En résumé, une interprétation simple, claire, mais tout à la fois brillante et vivante, en constante animation, même lors des récitatifs.

 

 

Don Juan, une œuvre que beaucoup considèrent comme l’un des sommets de toute la musique. Ce que nous n’oserions contester. Mais une œuvre de ce fait imposante, presque intimidante. Et, malgré toute sa beauté, moins enlevée que des Noces de Figaro avec leur rythme effréné. Qui gagne donc à se voir par moments désacralisée pour n’en être que plus proche du public. Ce qui n’empêche bien évidemment de continuer à la représenter parallèlement en grand spectacle sur des scènes classiques d’Opéra. L’un n’empêchant pas l’autre.

 

 

Une belle soirée, donc, qui ne fit que confirmer les éloges lus Outre-Atlantique. Une fois de plus, un grand merci et un sacré coup de chapeau à Iván Fischer qui n’en a pas fini de nous étonner... et de nous séduire.

 

 

Pierre Waline

 

 

(1): cf. Les Noces de Figaro (février 2013) et la Flûte enchantée (mars 2015), dont nous avons rendu compte dans ces colonnes.

(2): ouvrage prônant une scène dépouillée pour mieux mettre en valeur le jeu des acteurs. S'agissant, certes, du théâtre, mais n'oublions qu'Iván Fischer, grand amateur de théâtre se plaît à rapprocher les deux genres.

 

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