Trianon, entre passé et present
La coalition d’opposition Fidesz-KDNP a proposé une journée de commémoration du Traité de Trianon. Thème récurrent de la droite et de l’extrême droite hongroise, le Traité signé en France n’a pas forcément l’impact politique qu’on lui prête, surtout chez les jeunes.
«Je pense que nous devrions envahir nos voisins…», lance Mátyás, le regard figé et grave, avant d’éclater d’un rire puissant. Se définissant lui-même comme un conservateur culturel et social rêvant d’un retour à la campagne hongroise, il se moque bien des polémiques politiques du moment. Ádám, son ami, qui est passé d’une orientation Fidesz (droite) très ancrée, à un soutien au MDR (conservateur modéré, centre droit), se veut plus loquace. Il avoue ne pas bien connaître le Traité qui a réduit la taille de son pays de 72% il y a quatre-vingt-six ans, mais il «sait ce que les gens ressentent par rapport à cela.» «C’est injuste. Je ne sais pas sur quelle base cela a été fait… » Il rejoint par là cette frange de la population - dont son père, d’où lui vient son conservatisme - pour qui Trianon, c’est la France, et que c’est un acte toujours insupportable, même près d’un siècle plus tard.
Mais bien que ce sentiment se rencontre parfois chez certaines franges de la jeunesse, au détour d’une manifestation antigouvernementale ou dans les “Táncház” à une heure avancée, il est bien plus habituel que la jeune génération soit bien indolente face à cette question. L’idée d’un Etat-nation fermé dont la réduction territoriale du Royaume serait toujours d’actualité n’est plus vraiment en phase avec une jeunesse qui a pris l’habitude de voyager librement dans l’Union européenne, d’étudier à Londres, Bruxelles… ou Paris.
Comme le reconnaît Erika, apolitique, «mieux vaut un traité que des bombardements comme en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale…». L’argument est recherché. Deux cas de figure prévalent en effet, soit on réfléchit à des arguments sur la base d’une culture politique commémorative encore présente, soit on rejette le sujet comme s’il s’agissait d’une vieillerie sortie du grenier.
Beaucoup pensent qu’il s’agit, en ce début de XXIe siècle, d’un argument électoraliste, même si certains reconnaissent leur compassion pour les Hongrois de Slovaquie ou de Roumanie où les médias ont relayé quelques cas de maltraitances et de complications administratives. Mais l’entrée progressive dans l’Union européenne de tous les pays voisins devrait voir le respect des normes en matière de protection des minorités, notamment en matière culturelle.
Les aînés, quelque soit leur attachement politique, pansent souvent Trianon comme une blessure ouverte. Les jeunes, eux, auraient tendance à laisser lentement se refermer la plaie. Ádám affirme ainsi que «la tradition, ce n’est pas de la politique», et que «la politique, c’est construire demain». Il exprime tout haut également ce que beaucoup de jeunes montrent quotidiennement par leur comportement : «les gens se sentent mieux s’ils sont plus grands, plus riches… Moi, je ne pense qu’à moi». L’individualisme actuel et un enseignement de l’Histoire très partiel sous le socialisme créent un rapport à l’Histoire très différent selon les générations. Zsuzsi, apolitique, lance bien volontiers qu’elle «se fiche éperdument de la question». L’argument politique ne semble pas, avec cette génération, être promis à un bel avenir. «En fait, ça m’est égal, s’exclame Ádám, car je vis dans le présent, et pas dans le passé.»
Péter Kovács