«Témoin de mon temps»
Elie Wiesel de retour au pays après plus de 60 ans d'absence
Elie Wiesel, qui n’a eu de cesse tout au long de sa carrière d’être le témoin de son temps et le garant de la mémoire des victimes de l’Holocauste, était récemment de passage à Budapest, non sans émotion.
Durant sa visite de deux jours, il s'est rendu au Parlement à côté duquel il a tenu une conférence de presse. Sa visite dans ce quartier n'était pas sans rappeler le souvenir des Justes qui ont sauvé la vie de Juifs persécutés en 1944, comme Wallenberg et Carl Lutz, dont Elie Wiesel écrivait qu’ils sont arrivés trop tard pour les communautés juives de province, et surtout celles de Transylvanie. «Trop tard pour empêcher Eichmann de faire marcher les moulins de la mort à Auschwitz». Elie Wiesel est originaire de Sigeth en Transylvanie et c’est à l’âge de 15 ans qu’il a été déporté avec tous les siens au camp de concentration de Birkenau. Il n’oubliera jamais la violence des gendarmes hongrois, la brutalité des SS qui les entassaient dans les wagons à bestiaux scellés. Traumatisé mais rescapé, c’est en France qu’il sera soigné et suivra sa scolarité. Sur les encouragements de François Mauriac, c'est en français qu'il écrit son premier roman La nuit. Depuis, il ne cesse d’élever la voix, de rappeler ce que fut l’Holocauste et d’agir contre le racisme et les injustices dans le monde entier, comme au Darfour ou en Iran. Outre des romans, il a également publié des récits et des essais métaphysiques. Avec sa Fondation des droits humains, il cherche à contribuer à l’avènement d’un monde plus juste.
Dans son discours à Budapest il a rappelé que la tragédie de l’Holocauste reste unique par sa conception et par son immensité. Aucun autre peuple n’a été destiné de la sorte à la mort. «Seule la mémoire peut nous réveiller. Si nous nous souvenons de ce qui s’est passé il y a 65 ans, nous pouvons empêcher de nouvelles catastrophes, sinon nous risquons d’être les victimes de notre propre indifférence. Car si nous sommes indifférents aux histoires de notre passé, nous le serons aux espoirs inhérents à notre avenir». Elie Wiesel a appelé la Hongrie à mettre en place une loi contre le négationnisme et contre toute incitation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale – comme cela existe en France et en Allemagne.
Quand, invité par le maire de Berlin, il a parlé devant le Reichstag, il a commencé son discours par une berceuse en yiddish que les mères endeuillées chantaient à leurs enfants affaiblis et mourants: «Plus bas, plus bas, taisons-nous, des tombes poussent en ce lieu. Plantées par l’ennemi, de vertes elles deviennent bleues... Plus bas, mon enfant: ne pleure pas, mon trésor, il ne sert à rien de pleurer. Les ennemis jamais ne comprendront notre malheur...» Les paroles traduites par Elie Wiesel montrent son attachement à son pays d’enfance, dont le folklore a par ailleurs attiré le compositeur Max Eisikovits, un autre rescapé des camps dont les chants hassidiques ont été enregistrés à Budapest récemment. A travers ces musiques, nous remontons dans le temps à la découverte d’un monde disparu à jamais. Nous en sommes également témoins en regardant le film documentaire de Judit Elek où elle accompagne le retour d’Elie Wiesel à Sigeth et qui s'intitule avec justesse Dire l’indicible. La quête d’Elie Wiesel.
Éva Vámos
Livres cités d’Elie Wiesel:
Tous les fleuves vont
à la mer Seuil,
Signes d’exodes Grasset
La nuit, L'aube, Le Jour Seuil
(A noter: Miklós Jancsó a réalisé un film d’après le roman L’Aube)
Max Eisikovits:
Chants hassidiques
CD enregistré à Budapest
avec le concours de László Fekete au chant et Judit Lukács au piano
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