Si Budapest était une femme
Budapest Parcours
Par Bernard Deléglise et l’oeil regarde
NDLR : Ceci est un Budapest parcours atypique à l’approche de la Szent Bálint. Rien ne vaut une déclaration d’amour, surtout quand c’est un homme qui s’élance et à l’égard d’une ville, celle qui nous reçoit depuis plus ou moins longtemps. Un Budapest vu par..., intimiste, sous la plume et le coeur de Bernard Deléglise, l’un de ses fins pratiquants qui depuis plus d’une décennie a vu ses habitants investir son restaurant français bien nommé La Fontaine. Cet article vient clôturer cette page de sa vie, comme une ultime fable. Et qui sait si d’aventure la morale de cette histoire ne serait pas le début d’un conte de fée...
Si Budapest était une femme...
... je lui raconterais l’histoire de ce garçon arrivé dans la capitale magyare presque par hasard, à la poursuite d’un rêve. Qui ne savait ni pourquoi ni jusqu’à quand il y resterait.
Si Budapest était une femme, il serait difficile de vraiment la connaître, cette ville ne s’apprivoise qu’avec passion et lenteur. Budapest ne supporte pas l’impatience, et ne se livre qu’à ceux qui la courtisent ou la méritent vraiment. Vous l’aurez deviné, Budapest se découvre en marchant, pour la voir se déplier tout doucement sous vos pieds. Les trésors que l’on découvre en poussant les portes des vieux immeubles vous récompensent sans limite de votre patience (“a türelem a rózsa terem” : de la patience naissent les roses). Marcher est bien la meilleure façon de réunir les deux facettes de son caractère, Buda et Pest qui sont comme deux femmes rivales et alliées. Il faut accepter de se perdre dans les vieilles ruelles de Pest et dans les collines résidentielles de Buda. Et se laisser séduire, sans précipitation.
... Elle serait fragile et méfiante (Budapest, record mondial du nombre de serrures par habitant, selon mes propres statistiques). En fait, ces serrures protègent surtout les Budapestois de leurs voisins. Ils y placent leur tranquillité. Il est parfois très difficile de comprendre les rapports sociaux. A tel point que l’on peut même en arriver à se demander s’il existe un rapport de voisinage. Quant à la méfiance, elle est quasi sans objet : le sentiment de calme et de sécurité dans cette ville est absolument incroyable (et inestimable). Or, les Budapestois ne le savent pas et sont toujours surpris lorsqu’on le leur fait remarquer. Ils ne connaissent pas l’insécurité de certains quartiers de nos chères grandes villes françaises ni ces histoires qui n’arrivent pas qu’aux autres.
... Elle aurait de nombreux visages, et serait toute en contrastes : comment est-il possible de se sentir à ce point à la campagne en plein centre d’une ville de deux millions d’habitants ? Dans quelle capitale peut-on skier le matin (bon, ça d’accord, c’est de plus en plus rare), faire du planeur à 1/4 d’heure du centre-ville et jouer aux échecs en plein air dans un bain thermal l’après-midi ?
... Elle serait curieuse et cultivée, à Budapest la culture est partout, absolument accessible : peinture, expositions, concerts, musées, danse, théâtre (ah les vieux Budapestois endimanchés sur Andrássy). L’on ne peut pas s’ennuyer avec elle ! Essayez donc à Paris au cours du même week-end d’aller voir une expo Van Gogh, prendre un cours de danse folklorique, aller à un dîner-concert de jazz sur un bateau, emmener vos enfants dans un musée national faire des ateliers créatifs (avec une artiste toute contente de pratiquer son français), écouter un après-midi durant une “compétition“ Beethoven puis finir au théâtre voir une pièce en anglais. Pour un budget qui reste très raisonnable, il va sans dire.
... Elle aimerait la musique : bien évidemment, Budapest est la musique ! Cette relation est passionnelle, et se décline de nombreuses façons et dans des lieux les plus prestigieux ou décalés : classique à l’opéra ou à l’académie, électronique dans les kerts ou les bains, folklorique dans les Táncház, et bien évidemment tsigane, donnant tant de couleurs et de chaleur à Budapest. N’oublions pas les divers concerts, festivals et cafés-concerts partout dans la ville (là aussi, il faut prendre le temps de la découverte).
... Elle aurait des origines variées comme sa musique et ses habitants, elle pourrait être à la fois juive, turque, gitane, un peu française et allemande, mais définitivement Magyare. Comme eux, elle aurait un caractère un peu triste et sombre, mais qui souvent s’illumine et parfois s’enflamme. Ces Budapestois qui paraissent froids, inaccessibles, sombres et fermés se révèlent si chaleureux et gentils lorsque vous trouvez la clé.
... Elle serait secrète et mystérieuse, parfois inquiétante. Ah monter seul les collines du château, au coeur d’une nuit de brouillard hivernal ! Je l’ai fait si souvent, toujours avec le même frisson. Les promenades dans la ville mouvante ne craignent pas la quotidienneté.
... Elle serait grande et majestueuse, comme ce Danube qui passe sereinement, presque lassivement, tout en courbes et en rondeurs. Apparemment impassible, il donne à sa ville plus que toute autre capitale qu’il traverse, un caractère lent, comme un sentiment d’éternité. Mais méfiez-vous des apparences. Comme le fleuve, elle renfermerait une énergie et une force peu communes, et ceux qui l’ont déjà traversé à la nage me comprendront (j’en connais un qui...).
Et si Budapest était ma femme, elle porterait un nom du sud cher à Pagnol et je lui dirais : Maintenant je sais, je te connais, et je t’aime…
C’est ma magy’art de vivre.
Polaroïd Clément Saccomani www.loeilregarde.com