Serbie : un choix en demi-teinte

Serbie : un choix en demi-teinte

Avec à peine la majorité des voix, le président sortant Boris Tadic a été reconduit par les électeurs serbes. Les observateurs étrangers se plaisent à voir dans ce choix une orientation claire du pays vers un rapprochement historique avec l’Union européenne. L’avenir de la Serbie, réduit par les médias à la question du Kosovo, ne paraît pourtant pas si clair que cela.

Image retirée.

Les électeurs serbes ont fait leur choix en accordant de nouveau leur confiance à Boris Tadic. Pourtant, ce scrutin, opéré sous haute surveillance vu son enjeu stratégique, ne dessine une fois encore aucun choix marqué de la part de la population. La participation a atteint le seuil des 67%, mais le président Tadic n’a reçu que 51% des voix. C’est fort peu sachant que la mobilisation électorale est généralement favorable aux démocrates plutôt qu’aux nationalistes. Avec 47% des voix, M. Nikolic, son adversaire malchanceux qui a, depuis, reconnu sa défaite, n’était pas si loin d’emporter l’adhésion de la moitié du corps électoral.

Autre point délicat, Boris Tadic, dépeint par les médias européens comme très clairement pro-occidental, à l’instar de l’Ukrainien Iouchtchenko ou du Géorgien Saakachvili, l’est pourtant nettement moins que son prédécesseur à la tête du Parti Démocrate (DS), Zoran Djindjic, Premier ministre assassiné en 2003. Probablement afin de gagner des votes favorables à M. Nikolic, leader candidat du Parti Radical Serbe ouvertement nationaliste, il s’est ainsi officiellement opposé à tout processus d’indépendance du Kosovo auquel les Etats-Unis et l’Union européenne apportent tout leur soutien.

Ensuite, c’est bien M. Tadic qui a signé avec Moscou un accord majeur portant sur la construction du gazoduc Blue Stream, destiné à apporter encore plus de gaz russe à l’Europe, alors même que cette dernière tente de se défaire de cette dépendance. La position du nouveau président paraît donc plus balancée que tranchée en faveur des positions européennes.

Il s’agit ainsi plutôt d’un double jeu Bruxelles-Moscou. Répondant par exemple aux demandes européennes de privatisation des entreprises d’Etat serbes, M. Tadic propose ainsi la privatisation de la compagnie gazière Naftna industrija srbija (NIS), qui devrait se voir rachetée à hauteur de 51% par l’entreprise Gazprom, puissante machine de la stratégie énergétique russe.

Cette alternative est toutefois préférable au retour aux affaires des ultranationalistes du SRS, dont le leader historique, Vojislav Seselj, est emprisonnée à La Haye pour crime contre l’humanité. Un message clair est ainsi venu encourager le candidat Tadic pendant les derniers jours de l’entre-deux-tours, avec cette déclaration de la Présidence slovène de l’UE: «l’Union européenne souhaite approfondir ses relations avec la Serbie, et accélérer ses progrès vers l’UE, y compris son statut de candidat».

La carotte était donc assez clairement offerte pour encourager les Serbes à voter pour M. Tadic, et, ce, malgré la suspension des discussions sur avis du Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) qui avait émis un avis défavorable à la poursuite des négociations d’intégration européenne avec la Serbie tant que Belgrade n’aurait pas coopéré pleinement. En toile de fond se trouve en effet la question de la livraison par la Serbie de MM. Mladic et Karadzic, tous deux recherchés notamment pour génocide et crime contre l’humanité.

Depuis cinq ans, la scène politique serbe n’a par ailleurs guère évolué : elle reste partagée entre le DS du Président Tadic, le DSS (Parti Démocratique de Serbie) du Premier ministre Kostunica et le SRS (Parti radical Serbe) de M. Nikolic, majoritaire au Parlement. On voit même une certaine convergence politique avec comme cadre la question du Kosovo, les trois hommes ayant une position relativement similaire. Le SRS, le plus radical, ayant réussi à imposer aux deux autres partis de s’aligner sur lui.

Enfin, le système politique serbe n’offre que peu de pouvoir au président. Entre un Parlement où le premier parti est toujours le SRS et un gouvernement aux mains des « nationalistes modérés » du DSS, le président Tadic a une marge de manœuvre d’autant plus limitée. Il lui reste donc à convaincre Serbes, Européens, Kosovars, Américains et, accessoirement, Russes de sa volonté de faire sortir la Serbie d’un nationalisme dont elle est la première victime. La chose s’annonce encore bien peu évidente.

Péter Kovács

Kosovo : Que va-t-il se passer ?

C’est moins l’avenir à terme de l’ex-province yougoslave que le processus et le calendrier suivis par les différents acteurs que va influencer la récente élection présidentielle serbe. Il est clair que la reconduction du président Tadic dans ses fonctions a un impact, mais cet impact reste relatif, ne serait-ce que parce que le gouvernement de Vojislav Kostunica reste maître de l’exécutif serbe.

Le signal conforte cependant l’Union européenne dans sa stratégie de soutien au plan Ahtisaari, envisageant une indépendance progressive, sous contrôle de la communauté internationale. L’instauration de missions de soutien des Nations Unies et de l’Union européenne devrait donc voir le jour, mais moins rapidement que si le candidat radical Nikolic avait remporté l’élection. Pristina aurait en effet déclaré son indépendance plus rapidement, voire immédiatement, en réaction, si les radicaux serbes l’avaient emporté. La Mission Intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) reste donc en place jusqu’à un nouvel accord au Conseil de Sécurité.

Du côté kosovar également, et bien que la pression médiatique soit maintenue par l’entourage du Premier ministre Hasim Thaci sur une déclaration d’indépendance à venir, les choses sont temporisées afin de ménager les autorités belgradoises. L’UE espère en effet favoriser les processus conjoints d’indépendance du Kosovo et d’intégration européenne de la Serbie. On peut espérer, sous réserve, que l’élection du 3 février permette d’éviter ou de limiter les troubles éventuels, qu’il s’agisse de combats internes, d’une crise diplomatique, d’un blocus économique du Kosovo, ou de mouvements de population à double sens.

P.K

Catégorie