„Saturé des beautés de la nuit parisienne…”
Exposition Brassai au Musée Mai Mano
On retrouve de célèbres photographes d’origine hongroise un peu partout dans le monde . C’est surtout leur présence à Paris qui fut remarquée et bien documentée par exemple dans le cas de Kertész et Brassai . Par contre on savait peu de choses du milieu dont Brassai, ce Hongrois de Transylvanie, était issu et où il avait grandi jusqu’à ses 20 ans. Pour combler cette lacune Károly Kincses et son équipe sont partis à la recherche des descendants de sa famille et de ses amis et ils ont trouvé de nombreuse photos et des correspondances inédites.
Ces merveilles sont exposées à la Maison Hongroise de la Photographie, autrement dite la Maison Mai Manó d’après le nom de son ancien propriétaire, photographe à la cour, qui a fait construire cet hotel particulier à la fin du 19ème siècle avec un splendide studio éclairé par une verrière et décoré en trompe-l’oeil. Batisse de l’époque, ambiance feutrée pour un vernissage, une rencontre avec tous ceux qui ont confié des photos et des documents précieux pour l’exposition. On y voit des lettres avec des dessins, écrites à moitié en hongrois, à moitié en français dans cette famille de francophones depuis plusieurs générations, et puis de très belles photos de plusieurs périodes de la vie de Brassai. Il y a aussi ses décors, ses sculptures reproduites, photographiées lors de son exposition à New York , ses Transmutations et ses Nus. Brassai, avec Kertész et Man Ray, a révolutionné la représentation du corps humain comme d’ailleurs la représentation du Paris nocturne. La Môme Bijou, un soir, au bar de la Lune à Montparnasse est entrée dans la légende. Elle fit scandale chez l’éditeur de « Paris de nuit » et inspira vraisemblablement la Folle de Chaillot à Jean Giraudoux. « A Paris pendant six ans, je menais une vie de noctambule et lorsque, saturé des beautés de la nuit parisienne je me demandais par quel moyen je pourrais les capter , la photographie s’est imposée seule et unique », a confié Brassai.
L’oeil de Paris – comme l’avait surnommé Henry Miller – a commencé comme journaliste, écrivain et peintre. Il a suivi les cours des Beaux-Arts de Budapest, puis de Berlin-Charlottenburg. Il a beaucoup dessiné avant d’aller s’installer à Paris. Peu de gens connaissent l’histoire de ses débuts, lorsqu’ il était correspondant à Paris. Il écrivait des chroniques sportives et c’était Kertész qui faisait les prises de vues pour Brassai. C’est donc grâce à Kertész qu’il apprend tout de cet art et attrappe « le virus » de la photographie. Très vite il devient connu dans les milieux d’artistes. Il travaille avec les surréalistes dans la revue Minotaure. Dans le premier numéro, un grand reportage sur Picasso et ses sculptures est signé Brassai. Leurs conversations se poursuivent et l’on édite le livre sur Picasso présenté par Brassai. Pour l’édition hongroise du livre c’est l’écrivain Gyula Illyés qui a écrit la préface, un témoignage précieux sur leur amitié – même après vingt ans d’absence. Dans son interview il évoque aussi la force des photos de graffitis, « Du mur des cavernes au mur d’usine », une sorte de folklore européen tardif. Avec ces motifs il a même réalisé des tapisseries. Dans l'exposition, l'on remarque la beauté du Pont des Arts dans le brouillard du soir, les ombres de la nuit dans les rues de Paris ou à Marseille avec un clochard. Brassai, qui a tiré ses photos lui-même, trouvait que cela est indispensable pour certaines photos dont le négatif est très différent du positif : à chaque fois, c’est une interprétation qu’on fait avec le tirage. Il y a toute une philosophie derrière la photo. Il disait aussi que ses photos, c’est son journal – et effectivement nous retrouvons dans les salles de l’exposition ses amis réunis sur les tirages et également le portrait des célébrités comme ce portrait de Thomas Mann réalisé en 1955 à Zurich. Après des portraits de Picasso pris dans l’atelier de l’artiste, on aperçoit Picasso et Brassai ensemble sur une photo prise par Gilberte Brassai.
A Paris, les musées ont très vite reconnu l’importance de son oeuvre. Ainsi, dès les années 50', ses oeuvres paraissent dans les collections des grands musées parisiens et une exposition de ses dessins est organisée au Musée National d’art Moderne. La Bibliothèque Nationale de France a fait une rétrospective Brassai dans les années 80' et à Beaubourg, c’est en 2000 qu'une grande retrospective lui est dédiée. Cette dernière a ensuite été présentée à Budapest, au Musée Ludwig . Ce fut un grand succès ! Le commissaire de l’exposition, Alain Sayag, a dit que Brassai est peut être le plus français des Hongrois du 20ème siècle et que son mode d’expression préférée fut après tout peut-être l’écriture... Un autre aspect y avait également été évoqué, qui le distinguait de Cartier-Bresson : ce n’était pas un photographe à la sauvette, ses images sont au contraire soigneusement élaborées. Brassai voulait produire des images symboliques et avec ses mises en scène l'on s’approche finalement du cinéma. Ce n'est pas un hasard si Carné s’est inspiré de ses photos pour tourner son célèbre film Les portes de la nuit.
Éva Vámos