Rêve américain et village roumain

Rêve américain et village roumain

California Dreamin’ de Cristian Nemescu

Image retirée.

Pour commencer à parler de ce film roumain on emprunterait bien à l’historien - roumain - des religions, Mircea Eliade, sa distinction entre temps historique (celui de l’Histoire, du changement) et temps cyclique (l’éternel retour du même). Le temps cyclique, c’est ce village roumain de Cápâlnita perdu «sur un pli de la carte» avec ses personnages archétypiques mais ô combien réalistes : le maire, le «petit chef» de gare, les adolescents qui rêvent d’ailleurs dans ce morne décor rural, défiguré par le plan de systématisation de Ceausescu… L’Histoire, c’est ce convoi ferroviaire américain qui traverse la Roumanie de 1999, pour livrer au Kosovo un équipement logistique de pointe qui va sauver des vies, pense-t-on…

Mais le chef de gare, Doiaru (Razvan Vasilescu), par ailleurs corrompu, refuse sans appel de laisser passer le train si on ne lui présente pas le “papier-officiel-dûment-signé-par-les-autorités”. Or, les Américains, invoquant le «top secret» n’ont que l’accord oral du gouvernement roumain. Le plus étrange étant que même lorsque le Capitaine Jones (Armand Assante) pose 2000 dollars sur – sous – la table pour mener dans les délais sa mission OTAN, Doiaru le corrompu refuse encore de les laisser passer ! Le fonctionnaire roumain semble avoir quelque chose de personnel à régler avec nos amis américains… qui vont devoir, bon gré mal gré, rester quelques jours dans le village où commence à souffler un vent de folie : le maire aimerait bien les faire investir, les filles voudraient émigrer avec un beau «marine», et les grévistes locaux de la seule usine fondent eux aussi de grands espoirs sur l’arrivée des militaires.

Alors, un nouveau film «à la Kusturica» avec gens qui volent, scènes festives et oniriques, mythe, magie et réalité sordide, musique à la forte présence ? Non ! La force du film, au vu de son sujet et de son ambition tragi-comique, est de ne jouer sur aucun «maniérisme balkanique» en imposant des décors et des personnages très très réalistes. Ce que vous voyez et entendez dans le film, vous le verrez et l’entendrez en Roumanie. Le choix de la caméra à l’épaule trouve donc une certaine pertinence dans cette volonté de saisir la réalité comme elle est, comme au vol, donc sans trop composer le cadre et en redonnant les bribes de ce que saisit un premier regard sur une situation étrangère.

Le réalisateur Cristian Nemescu et son preneur de son ont trouvé la mort dans un accident de voiture, alors que le montage était déjà bien avancé. On pourra donc voir quelques imprécisions de montage dans la deuxième partie. Mais la puissance du film est par ailleurs telle que son manque de finition est relégué au rang de détail. Une richesse de sens et de niveaux de lecture s’offre au spectateur dans cette histoire ironique jusqu’à la cruauté. Sous couvert de comédie et de bluette entre la Roumaine et le «marine», se cache un traité de géopolitique et même, lâchons-le, une vision sans concession de l’humain. Car les mêmes travers qui nous font rire chez ces personnages sont ceux qui nous dégoûtent lorsque éclate la tragédie violente. On est passé du rire aux larmes, brutalement, brillamment emmenés par Nemescu qui a trouvé une distance tellement juste face à ses personnages : du sergent Jones au chef de gare Doiaru, excellemment interprétés, et dans une opposition de jeu complice et superbe, on a une certaine empathie paradoxale pour ces affreux jojos. Maria Dinulescu, qui joue la fille de Doiaru, est excellente aussi. Le ton du film, enfin, est particulièrement plaisant, qui mêle la douceur d’une comédie romantique à la peinture réaliste, sociologique et féroce ; et confronte le village roumain à l’autre, le global, en montrant que la guerre est née au village.

Alexis Courtial

Vous pourrez voir California Dreamin’ (qui a gagné de nombreux prix dont Un certain regard à Cannes en 2007) lors de la nuit du cinéma proposée dans le cadre de la semaine de la francophonie, le samedi 15 mars à l’Institut Français de Budapest.

 

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