Rétrospective 2046

Rétrospective 2046

Rétrospective 2046

La Hongrie connaît, depuis près de 60 ans, un régime démocratique et une économie capitaliste. Comment les mentalités politiques et sociales ont-elles evolué depuis le changement de régime ? Le professeur Dagobert Megcsíp, sociologue et économiste, dont l’oeuvre fait autorité en Hongrie depuis près de 40 ans, a accordé, à ce sujet, un court entretien au journal.

 

JFB: Monsieur Megcsíp, il y a près de 50 ans, les avis concordaient sur le fait que le changement de régime en Europe centrale et orientale exigeait peu de temps pour l’installation des institutions politiques et du système capitaliste dans la région, mais que cependant le changement au sein des mentalités sociales allait prendre…60 ans. Comment avez-vous perçu ce changement de plusieurs générations ?

Dagobert Megcsíp: Lentement certes, mais les mentalités sociales et collectives ont évolué dans le bon sens au cours des dernières décennies. Il est certain que le passage au système économique capitaliste s’est opéré tout à fait rapidement. En ce qui concerne les institutions démocratiques, le changement aura été pratiquement instantané aussi. Ce qui nécessitait un temps historique, que l’on doit compter en termes de générations, c’est d’une part l’évolution des mentalités sociales, d’autre part la perception de l’identité nationale, la mémoire collective des Hongrois, et le rapport qui unit la société des citoyens à l’élite politique du pays. Le régime politique, que je perçois comme une intimité entre les citoyens et leurs représentants légitimes a en effet eu du mal à s’accomoder de la nouvelle situation.

JFB: Quand est-ce qu’à votre avis ces changements «historiques» ont commencé à dévoiler des signes positifs en Hongrie ?

D.M.: Comptons, voulez-vous, cette affaire de transition socio-politique en années. Le système socialiste aura duré 40 ans. Après le changement de régime, je pense que c’est au bout de 25 ans, plus de la moitié de ce qui avait précédé, que la société et la classe politique hongroises ont commencé à montrer des signes réciproques d’un nouveau type de rapport, d’une nouvelle espèce de coopération entre citoyen et représentant. En 2015, pour être précis.

Regardez quel a été auparavant, au cours du premier quart de siècle de notre Troisième République, le problème majeur dans ce domaine ? A mon sens, la société des citoyens libres ne s’est que fort lentement affranchie des exigences qui étaient celles du monde communiste : le citoyen hongrois, après 1990, demandait encore à l’Etat de jouer un rôle paternaliste, sans se rendre compte de ce que les libertés démocratiques du citoyen nouveau voulaient dire. La conscience politique européenne des Hongrois s’est développée grâce à un changement de génération : c’est lorsque la deuxième génération postcommuniste, ces personnes qui ont vu le jour dans les années 1980-1990, ont atteint un âge adulte que les collectivités démocratiques du pays ont commencé à montrer les signes de ce que j’appellerais une maturité politique digne du système dans lequel nous vivons aujourd’hui.

JFB: La conscience politique de la société hongroise a donc selon vous evolué dans le bon sens. Pouvez-vous préciser ce que cela veut dire, et aussi décrire comment cette maturité politique a influencé la classe politique du pays ?

D.M.: Les deux questions sont indissociables. Aux élections anticipées de 2015, un an après ces fameuses législatives qui ont donné exactement, n’est-ce pas, le même nombre de sièges à la droite et la gauche d’antan, nous avons pu voir comment quelque chose de positif s’est déclenché à la fois au sein de la société civile et la classe politique. D’une part, c’est bien une nouvelle génération de citoyens qui a refusé les verrouillages d’une soi-disant élite politique qui n’offrait plus un choix authentique entre des courants de pensée et d’action. En même temps, si au sein même de cette classe politique certains jeunes politiciens n’avaient pas eu le courage, en 2015, de tourner le dos à cette palette politique stigmatisée depuis la fin des années 1990, ni pris en main la constitution de nouveaux partis et, pour la première fois dans l’histoire de la Troisième République de Hongrie, n’avaient pas réclamé la tenue d’élections législatives anticipées, les choses n’auraient pas pu changer. C’est donc bien ensemble que l’élite politique rajeunie et la population ont pu prendre un tournant, qui a mené à des changements propices à mon sens pour la Hongrie.

JFB: Quelles ont été les répercussions de ce changement socio-politique sur l’économie du pays ? L’adoption de la monnaie européenne est-elle symbolique à cet égard ?

D.M.: Tout à fait. Je ne pense pas que la Hongrie aurait pu intégrer la zone Euro sans ce nouveau souffle. Le plan de convergence vers les économies de la zone Euro, malgré sa cohérence et sa correspondance aux réalités du pays, manquait d’une qualité essentielle, et ce de façon de plus en plus accentuée après 2006-2007 : la confiance qu’accordent les institutions européennes aux dirigeants supposés mener à bien le programme de cette convergence économique et monétaire. Cinq ans après les élections de 2015, le risque d’intégrer la Hongrie dans la zone Euro a été pris, et cela est dû, en grande partie, à la confiance nouvelle qu’inspiraient les nouveaux élus du pays et le rapport qu’ils entretenaient avec la population. Cette dernière avait en effet accepté de suivre un plan avec des mesures d’austerité et des périodes de relâche, et cela grâce à la capacité de la nouvelle élite à communiquer de façon convenable la necessité de ces haut et bas.

JFB: Economiquement parlant, l’intégration de la Hongrie et d’autres nouveaux pays dans la zone Euro n’a pas réussi à homogénéiser les économies du continent, comme vous le mentionnez à plusieurs reprises dans votre dernier livre…

D.M.: Loin de là ! Persiste aujourd’hui le problème du dumping social, c’est-à-dire le fait que notre région attire les entreprises des pays d’Europe de l’Ouest et cela continue à nourrir des tensions entre l’Est et l’Ouest du continent, même si l’on peut dire aujourd’hui que le nouveau bloc russe a déplacé cette différence Est-Ouest vers l’Est, justement. Ensuite, même si nous vivons mieux aujourd’hui qu’il y a 40 ans, nos pays ont dû renoncer au bien-être basé sur la consommation sans limites de nos grands-pères, puisque la prise en charge des processus écologiques à long terme nécessite, de la part de toutes les sociétés responsables «une conscience verte», qui exige que l’on se serre la ceinture afin que les générations à venir puissent vivre dans le même type d’économie et de société modérées qui se seront mises en place au cours de ces dernières décennies, malgré les rechutes nationalistes que l’on a pu observer à plusieurs reprises depuis 2006. A tâtons, certes, mais cette conscience verte progresse, malheureusement en même temps que les effets planétaires de nos négligeances.

JFB: Pensez-vous que nos efforts pour sauvegarder la Terre peuvent tenir à long terme ?

D.M.: Je l’espère car, voyez-vous, j’ai des petits-enfants, moi aussi…

Propos receuillis par Pál Planicka

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