Retour sur la 14ème édition du Festival du Film francophone
À l’occasion de la 14e édition du Festival du Film francophone, l'Institut français et ses différents partenaires ont présenté une sélection éclectique de vingt-quatre films. Les projections ont eu lieu du 28 février au 10 mars 2024 à l'Institut français, au cinéma national Urania ainsi qu’au centre culturel Turbina. La clôture du festival est l’occasion pour nous de faire un retour sur les films que nous avons pu voir.
Second Tour
Nous avons ouvert le festival en allant voir la comédie réalisée par Albert Dupontel Second Tour dans laquelle nous retrouvons Cécile de France et le réalisateur lui-même dans les rôles principaux. Le réalisateur de Adieu les cons y raconte l’histoire d’une journaliste qui, après avoir été chargée de couvrir la campagne présidentielle, se met à enquêter sur le candidat favori. L’intrigue de départ est intéressante et l’on comprend la critique de Dupontel à l'égard de la classe politique prête à toutes les manipulations pour satisfaire son électorat et accéder au pouvoir. Néanmoins, nous avons trouvé que le film manquait de profondeur et de finesse et que l’on passait à côté de la complexité du sujet. Le film Second tour reste une comédie divertissante devant laquelle nous avons passé un bon moment.
Je verrai toujours vos visages
L’un des films du festival qui a retenu notre attention est le film de Jeanne Henry, “Je verrai toujours vos visages”. Un film qui traite de la justice restaurative dans lequel on retrouve un casting impressionnant avec notamment Jean-Pierre Darroussin, Gilles Lellouche ou encore Leïla Bekhti. On assiste à la rencontre et au dialogue de condamnés et de victimes de braquages, de violences et de viols incestueux dans le cadre du dispositif de justice restaurative. On y découvre des personnages complexes aux trajectoires de vie dramatiques interprétés de manière très juste par les acteurs. La réalisatrice parvient à rendre attachants chacun des personnages. Adèle Exarchopoulos incarne parfaitement le personnage de Chloé victime d’inceste sans tomber dans le pathos. Elle a d’ailleurs été récompensée pour ce rôle lors de la 49ème cérémonie des César dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle. C’est un film sans lourdeur, émouvant, mais qui ne tombe pas dans le tragique. On se surprend même à rire malgré la dureté du sujet. Le sujet important de la justice restaurative est traité avec pédagogie et nous amène à nous questionner sur les questions de reconstruction, de pardon et de justice. L’accueil du film et son succès en France est tout à fait mérité.
Le Règne animal
Le deuxième film du réalisateur Thomas Cailley a probablement été l’une des plus grandes surprises du cru 2023 pour le cinéma français, et les Budapestois ont eu la chance de visionner ce film ayant remporté 5 Césars. Il est rare qu’un film de genre français dépasse le million d’entrées au box-office et reçoive un aussi bon accueil critique. Le Règne animal raconte la transformation inexpliquée de certains humains en animaux, et notamment des rapports qu'entretiennent François (Romain Duris) et Emile (Paul Kircher), respectivement compagnon et fils de Lana, qui est une “créature”, c'est-à-dire une humaine devenue animale. Thomas Cailley traite dans son film notre rapport à l’altérité et la façon dont notre société accueille la différence, souvent violemment. Mais c’est aussi un film qui nous parle de notre rapport au sauvage, et aux bouleversements naturels déjà là. Le film commence d’ailleurs par constater l’existence des créatures dès sa première séquence, nous montrant que le dérèglement est déjà en cours. Au-delà de ces considérations politiques, ce film est aussi un divertissement spectaculaire, et on peut souligner le superbe travail réalisé pour la confection des costumes et des décors.
Les médailles d’or de la nation
Année olympique oblige, il fallait que le festival ait dans sa programmation un film nous parlant de sport, et quel autre sport que le water-polo, discipline nationale en Hongrie. Les médailles d’or de la nation nous racontent donc l’histoire de l’équipe de Hongrie, triple championne olympique de 2000 à 2008, à Sydney, à Athènes puis à Pékin. Ce documentaire nous montre les différentes phases de construction d’une équipe qui a dominé le water-polo pendant une dizaine d’années sans rivalité ou presque. Les succès de la Hongrie par des séquences alternant entre images d’archives et témoignages face caméra d’anciens joueurs ou d’entraîneurs qui ont joué dans l'équipe de Dénes Kemény ou qui l’ont affronté. Bien que le sujet soit intéressant, notamment pour des Français qui n’y connaissent pas grand-chose en water-polo, on peut regretter la longueur du film, qui dure 2h20, longueur due à la narration, qui est toujours la même à chaque olympiade (équipe en difficulté qui parvient à se ressouder pour gagner le titre olympique). Ceux qui ont pu voir des documentaires américains sur certaines chaînes de TNT françaises pourront aussi reconnaître le témoignage face caméra “à l’américaine”. Un ton bourrin et parfois vulgaire pour parler des matchs, qui peut faire rire au début, mais qui fatigue au bout de deux heures. On pourra aussi regretter le sous-titrage français du film, parfois incompréhensible, certaines phrases n’ayant pas de sens.
Tori et Lokita
Dans cette 14ème édition du film francophone, nous retrouvions à l’affiche des films provenant de nombreux pays de la francophonie et notamment de Belgique. Tori et Lokita, dernier film des frères Dardennes, est sorti en 2022 et nous parle des difficultés de l’exil une fois arrivé dans le pays d’accueil. Les deux personnages principaux, Tori et Lokita, ont tous les deux traversé ensemble la Méditerranée pour fuir leur pays et se retrouver à Bruxelles. Ils ne sont pas frères et sœurs biologiques, mais ils ont pourtant tissé un lien fraternel au cours de leur traversée. Tori obtient facilement ses papiers, mais Lokita ne parvient pas à en obtenir légalement, ce qui l’empêche de commencer à reconstruire sa vie en Belgique. Les deux personnages ont besoin d’argent pour rembourser les passeurs et pour en envoyer à leurs familles. La situation irrégulière de Lokita les contraint à dealer pour obtenir cet argent. On observe alors Lokita peu à peu se faire dépasser par les pressions venant de toutes parts et être victime de crises de panique. La relation fusionnelle entre les deux personnages est sûrement le plus gros point positif du film et ce qui le rend aussi émouvant. Le mélange entre thriller et drame est intéressant et donne du rythme au film en faisant monter crescendo la tension autour du personnage de Lokita. Le sujet du film est important et abordé avec justesse. Néanmoins, l’aspect dramatique du film est pesant pour le spectateur et l’on en ressort démunis, voire déprimés.
Bâtiment 5
Ladj Ly revient après le succès des Misérables avec Bâtiment 5 qui est le deuxième volet de la trilogie et confirme son talent. Il montre cette fois-ci avec justesse le fossé entre les habitants des quartiers populaires et leurs représentants politiques. L’histoire tourne autour du personnage de Haby qui est une jeune femme engagée dans la vie de son quartier et qui veut défendre les intérêts des habitants face à la menace de réaménagement qui pèse sur eux. Ce projet de réaménagement va de pair avec la démolition de certains des immeubles de son quartier, notamment le sien. À la tête de ce projet, Pierre Forges, pédiatre et nouveau maire de la ville, complètement déconnecté du sort de ses administrés. Les deux personnages se font face et usent de leurs armes respectives, plus ou moins violentes. Le film est très intéressant, on y parle d’engagement citoyen populaire et jeune, mais aussi de répression, de violence, de colère et en quelque sorte de lutte des classes. On observe aussi la complexité que peut revêtir l’engagement notamment dans le personnage de Roger Roche qui est à la fois adjoint au maire, mais aussi habitant du quartier menacé et qui se retrouve pris dans la contradiction d’être du côté de ceux qui ont le pouvoir, alors qu’il a grandi aux côtés de ceux qui luttent contre. Les personnages sont complexes et le personnage de Haby est attachant. Le réalisateur nous embarque complètement dans le combat de Haby et nous fait ressentir sa colère. Il arrive à nous faire saisir l’urgence du mal logement et le poids des injustices que vivent les habitants des quartiers populaires.
Yannick
Yannick a été l’une des surprises de l’année 2023 en France, et les Budapestois ont eu la chance de voir ce court long-métrage (le film dure environ une heure) dans les salles de la capitale. Petit film tourné en quinze jours par le réalisateur Quentin Dupieux dans un théâtre, le dispositif de Yannick est très simple. Et le synopsis aussi, un spectateur, Yannick, s’ennuie en regardant une pièce de théâtre de boulevard et se lève pour interrompre la scène en cours et interrompre le bon déroulé de la pièce. Le rôle de Yannick a été l’un de ceux qui, avec son rôle dans Chiens de la casse, ont permis au génial Raphaël Quenard de se révéler au grand public. Son accent et son phrasé permettent aux spectateurs de ressentir la différence entre Yannick et les acteurs sur scène. Cette différence permet à Dupieux d’illustrer son propos et de nous montrer les difficultés que peuvent avoir les classes populaires quant à l’accès au monde de l’art. Ce film est aussi pour le réalisateur l’occasion de nous parler de l’angoisse d’un artiste, celle d’ennuyer le spectateur, même si l’objet est d’abord conçu pour divertir, même pour une pièce de boulevard. Raphaël Quenard éclabousse tout le film de son talent, nous fait rire, et ses différents échanges avec les acteurs et les autres spectateurs sont lunaires et hilarants. Yannick fait rire, questionne, et ne nous ennuie jamais, et personne n’a été surpris par son succès dans les salles françaises.
Garan Lintanf et Marine Moine