Retour de la jungle
La chronique de Dénes Baracs
Échos de la francophonie
La nouvelle de la libération d’Ingrid Betancourt de la jungle colombienne m’a trouvé en pleine jungle... brésilienne. Je suivais à la télévision le reportage incroyable de Nicolas Hulot dans l’émission Ushuaïa nature. Le grand aventurier professionnel présentait justement aux téléspectateurs ceux qu’il nommait simplement les «derniers hommes libres»: les Indiens Zo’és, qui vivent dans une zone presque inaccessible de la grande forêt amazonienne.
Avec l’aide du gouvernement brésilien et des associations qui les protègent, notamment en les tenant soigneusement à l’écart de la civilisation moderne (contrairement à d’autres tribus indigènes qui n’ont pas eu cette chance et dont on a démoli la culture, l’âme et finalement la vie), ils ont réussi à conserver leur société forestière simple et mystérieuse, sagement sauvage ou sauvagement sage. Pour tout vêtement ils ne portent qu’une pièce de bois blanc qu’on insère dans la lèvre inférieure de chaque adulte (une opération douloureuse mais qui est la preuve de leur identité), ils chassent et pêchent avec leurs flèches et quand un des leurs est tué par un jaguar, ils se débarassent du Mal par une danse magique.
C’est alors que sur l’écran s’est affichée l’inscription qui m’a ramené à la société moderne et en même temps à la réalité miraculeuse. Oui, c’était justement Ingrid Betancourt, cette femme politicienne franco-colombienne enlevée il y a six ans et demi par le mouvement de guérilla le plus puissant d’Amérique latine, les Farc, qui a elle-même qualifié de «miracle» sa libération rocambolesque. A partir de ce moment, j’ai attendu avec impatience que TF1 quitte la jungle brésilienne, mais le film très empathique de Nicolas Hulot sur ces gens «à poil», mais de coeur, dura encore... C’est ainsi que j’ai pu apprendre d’une toute autre façon des choses qui étaient importantes à l’échelle mondiale sur l’histoire d’Ingrid Betancourt.
Au moment de la lecture de ce billet vous en saurez déjà infiniment plus que je n’en connais maintenant sur la fantastique action du commando qui a réussi à arracher aux FARC leurs plus précieux otages, Ingrid et 14 autres personnes, dont certaines ont déjà passé 10 ans dans cette captivité cruelle. On connait l’action de longue haleine entreprise par la France et les Français, mais aussi par la Suisse, par le Vénézuela, par l’Equateur et par beaucoup de pays pour négocier la libération d’Ingrid Betancourt, qui certes n’a pas été couronnée par un succès direct mais qui - comme elle l’a ultérieurement confirmé - a continué à entretenir son espoir et donc le moral nécessaire à la survie pendant sa captivité.
C’était certainement une opération militaire minutieusement et astucieusement préparée et dont on parlera encore longtemps. Le président colombien Álvaro Uribe a pris une décision risquée (et à laquelle s’opposaient les membres des familles des otages qui craignaient pour la vie de leurs bien-aimé(e)s en cas de fusillade). Finalement tout s’est déroulé comme prévu lors de cette opération qualifiée de «parfaite» par la grande dame libérée. Candidate à la présidence du pays justement contre Uribe au moment de son enlèvement, elle l’a chaleureusement remercié pour l’action et l’a qualifié de bon président, sans exclure tout de même sa propre future candidature au poste suprême de la Colombie. A peine sortie de la jungle, elle est redevenue politicienne...
Mais j’ai trouvé ici une petite phrase qui m’a impressionné. Interrogée sur l’action de force, tellement crainte par les membres de sa famille, Ingrid Betancourt a expliqué qu’elle n’y avait jamais été totalement opposée car il eût été pire de mourir d’une balle de ses geôliers dans une captivité sans issue qu’au cours d’une action de libération, même si la liberté retrouvée n’aurait duré «qu’une seconde». Et j’ai également apprécié le geste du président Uribe qui, malgré le succès de l’action, a jugé nécessaire de demander pardon aux membres de la famille d’avoir pris cette décision contre leur opinion.
Je suis resté éveillé tard dans la nuit, parce qu’en plus de suivre quasiment en direct les événements de cette libération tant attendue, on pouvait aussi partager de grands moments humains: les retrouvailles entre la mère et sa fille, la joie infinie des enfants qui pendant les années de la séparation sont devenus des adultes, la prière collective sur le tarmac, les hommes d’Etat et les gens de la rue en larmes. Une vraie téléréalité: les gens que j’ai vus dans ma chambre vivaient une authentique histoire extraordinaire et, même si elle se passait à des milliers de kilomètres de moi, elle nous concernait directement. Le terrorisme, la drogue, les guerres civiles influencent notre vie ici en Europe aussi. La mobilisation de la France et de l’Europe pour Ingrid Betancourt reflète cet effort global.
Hélas, l’histoire n’est pas encore finie: on ne peut qu’espérer que ce dénouement heureux pour Ingrid et les autres otages libérés ne sera que le début de la fin du chapitre sombre des Farc et que tous les captifs de la jungle colombienne seront enfin libérés.
Il est aussi impératif de laisser en paix dans la jungle les Indiens indigènes de la forêt d’Amazonie qui, selon la formule de Nicolas Hulot, représentent «les derniers hommes libres», libres des contraintes de notre civilisation basée sur la propriété, la consommation, la richesse, la concurrence. Leur mode de vie est inimaginable pour l’homme civilisé mais, en protégeant leurs habitudes archaïques, en gardant leur habitat naturel - explique-t-il - on défend en même temps la forêt amazonienne, poumon vital de notre terre.
La jungle peut signifier beaucoup de choses.