Rentrées littéraires…
Pour ceux qui s’installent tout juste à Budapest et / ou qui souhaitent investir dans la littérature hongroise, voici un « digest » de mes lectures hongroises de l’année passée…
Avant toute chose, ôtez-vous de l’esprit certaines idées préconçues :
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non, la littérature hongroise n’est pas forcément sinistre (j’ai même beaucoup ri l’année dernière !) ;
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oui, il existe de grands talents littéraires hongrois et la France commence d’ailleurs à les découvrir depuis la chute du Mur ;
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ne boycottez pas la littérature du début du vingtième, qui est tout aussi intéressante que la littérature plus contemporaine et donc plus médiatisée.
Je vous recommande en priorité les cinq auteurs suivants :
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Magda Szabó : Traduite en France pour la première fois dans les années 60, Magda Szabó a été véritablement découverte dans les années 90 ; la France lui a accordé un prix pour La Porte (Fémina 2003) et, tout récemment, pour Rue Katalin. Je vous recommande la lecture de La Ballade d’Iza, roman aussi entraînant qu’une petite « ballade musicale ». Avec une finesse psychologique rare, l’auteur y décrit les relations entre une mère et sa fille (Iza) sur un ton empreint de nostalgie. Magda Szabo mérite bien son titre de « grande dame des lettres hongroises ».
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Sándor Márai : ce nom vous dit certainement quelque chose car il est beaucoup plus connu des Français que des Hongrois. Tous ses romans sont de qualité. Le dernier ouvrage traduit en français est un de ses meilleurs : Métamorphoses d’un mariage, rédigé dans les années 50 et tombé dans les oubliettes à cause du communisme. Ilonka, Péter et Judit sont tous les trois acteurs d’un même drame : à tour de rôle, Ilonka (l’épouse), Péter (le mari) puis Judit (la domestique) racontent à un tiers leur vision de cette déroute sentimentale - dont il est ici question - sous forme de monologue-confession. A chaque confession, on change de narrateur, de style, de tonalité : Sándor Márai nous invite ainsi à assister aux métamorphoses d’un mariage, celui de Péter et d’Ilonka. Un roman passionnant et original qui permet en outre de découvrir Budapest dans l’entre-deux-guerres.
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Deszö Kosztolányi : moins connu des Français parce que plus ancien (écrivain des années 20, contemporain de Endre Ady et József Attila), D. Kosztolanyi est pourtant considéré en Hongrie comme un grand classique de la littérature hongroise. Ses quatre grands romans ont été traduits en français; parmi eux, je vous conseille plus particulièrement Anna la douce, un roman d’une grande finesse, écrit dans un style simple, dépouillé mais précis. Que se passe-t-il dans la tête d’Anna, jeune paysanne de 20 ans considérée comme la bonne idéale à Budapest dans les années 20, pour qu’une nuit elle se mette subitement à assassiner ses maîtres à coups de couteau ? Pourquoi une jeune fille d’apparence si parfaite et si appréciée de tous entreprend-elle un acte aussi criminel ? Cela semble impossible mais, pour citer Kosztolanyi, « seul l’impossible mérite réflexion », réflexion à laquelle il nous invite dans cette tragédie à la Flaubert.
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Miklos Bánffy et Lajos Zilahy : ces deux auteurs des années 50, eux aussi injustement interdits de parution sous le communisme, ont heureusement été découverts par les critiques français et anglo-saxons. Ils plairont à tous les amateurs de sagas familiales. Les deux décrivent avec talent et chacun à leur manière la déchéance de l’aristocratie hongroise de l’entre-deux-guerres. Dans Les Dukay de Lajos Zilahy (3 tomes qui peuvent se lire indépendamment) vous découvrirez un style magnifique et apprendrez beaucoup sur la Hongrie et les Hongrois ; dans la trilogie transylvaine de Miklos Banffy (tome 1), vous serez transporté à l’époque des bals et du faste austro-hongrois, charmé par ce roman d’amour sur fond historique, souvent surnommé le « Guépard » hongrois .
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Viviane Chocas : pour le « fun », lisez Bazar magyar (paru en 2006). Un bon petit roman facile et savoureux, idéal pour les Français qui s’installent tout juste à Budapest. L’auteur, française, nous emmène à la découverte de ses racines hongroises, à partir de souvenirs gustatifs…
Pour ceux qui ne font pas de la littérature hongroise leur priorité (!), voici quelques pistes de lecture parmi les ouvrages à succès de cette année en France :
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Bien entendu, si vous n’avez pas encore eu l’occasion de le faire, plongez-vous vite dans Lignes de faille, de Nancy Huston (prix Fémina 2006) et dans L’élégance du hérisson, de Muriel Barbery, sur lesquels je serais brève car ils ont été très médiatisés. Ces deux romans sont difficiles à appréhender au départ mais persistez, vous ne serez pas déçus ! En deux mots, dans Lignes de faille, Nancy Huston nous invite à remonter le temps, à suivre la ligne de faille qui a creusé son empreinte dans cette famille : trois générations racontent à tour de rôle l’histoire familiale… Dans L’élégance du hérisson, nous assistons à la rencontre étonnante d’une concierge érudite et extraordinaire d’un immeuble cossu du 7ème et d’une jeune fille surdouée de 12 ans, mal dans sa peau, logeant dans cet immeuble.
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Mal de pierres, de Milena Agus (novembre 2006). Ce roman italien n’a pas bénéficié de la couverture médiatique propre à la rentrée littéraire puisqu’il est paru bien après, mais le « bouche à oreille » a permis d’en faire un grand succès. Le narrateur nous transporte dans la Sardaigne des années 50 en nous racontant la belle mais bien étrange histoire d’amour de sa grand-mère. Ecrit dans un merveilleux style poétique, tout en suggestions, le livre nous plonge dans une ambiance mystérieuse. Un petit bijou à découvrir et à offrir !
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Elle s’appelait Sarah, de Tatiana de Rosnay (décembre 2006) : un excellent roman dont le sujet n’est certes pas facile : les rafles et internements de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Contrairement aux Bienveillantes, dont les propos sont souvent insoutenables, vous pourrez prendre du plaisir dans la lecture de ce roman qui alterne les époques (années 40 / années 2000), allégeant d’autant la dureté du récit. Une jeune journaliste américaine vivant à Paris de nos jours est chargée d’écrire un article sur la rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942 ; elle a honte, quand elle apprend ce qui s’est passé, d’ignorer de tels faits. Elle découvrira par hasard l’histoire de Sarah, petite fille juive qui réussira à échapper aux camps mais pas au traumatisme de la rafle. Un livre bouleversant.
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Impossible de ne pas évoquer le « livre évènement » de la rentrée littéraire 2007 : L’Aube le soir ou la nuit, écrit par Yasmina Reza, dramaturge renommée (« Art »). Pas un magazine qui n’évoque ce portrait singulier de Nicolas Sarkozy. Vous n’y apprendrez pas grand-chose sur le président de la République mais y trouverez quelques anecdotes amusantes, relevant des traits de sa personnalité. Pour les plus paresseux, je vous renvoie à l’excellent article du Point du 23 août 2007, dans lequel figurent les meilleurs passages.
Bonnes lectures à tous !
Clémence BRIERE
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