Rendez-vous en terres inconnues
Échos de la francophonie
La chronique de Dénes Baracs
La recette est apparemment simple: vous prenez une célébrité très connue et suffisamment téméraire pour accepter que des producteurs l’emmènent en Terre Inconnue (d’elle et du téléspectateur) pour y passer plusieurs jours au sein d’un peuple autochtone afin d’y partager la vie des habitants et décrire au public ses impressions et émotions. Le résultat peut être varié.
Avec la téléréalité, l’exotisme est de mode. On peut suivre des célébrités américaines en Asie ou hongroises en Afrique, les bras remplis de cadeaux destinés aux autochtones, comme autrefois ces colliers de perles de verre pour lesquels les chefs de tribu ont parfois vendu leurs propres sujets. Ce n’est certes pas la méthode de Frédéric Lopez et de ses invités (mais ils essaient de compenser leurs hôtes pour leurs efforts).
La dernière émission de Lopez que j’ai vue sur France 2 était une sorte de synthèse. La formule fut lancée en 2006 et les quatre premières célébrités conviées à ces expéditions se sont récemment réunies pour évoquer leurs aventures et commenter les avenures qui ont succédé aux leurs. Muriel Robin, Patrick Timsit, Charlotte de Turckheim et Bruno Solo ont ainsi fait en 2006 des voyages inoubliables – chez les Himbas de Namibie pour la première, les Mentawai de l’île de Siberut en Indonésie pour le second, les Nénétses de Sibérie pour Charlotte et enfin les cavaliers mongols pour le dernier. Autant de peuples autochtones qui ont conservé leur coutumes et façons de vivre jusqu’à nos jours mais qui sont désormais confrontés à la modernisation inexorable de notre planète.
C’est un sujet qui m’attire depuis mes années universitaires. Étudiant de la faculté de journalisme de l’Université Eötvös Lóránd à Budapest, mes premiers articles furent acceptés dans une publication universitaire qui s’appelait ‘Toll’ (Plume) et dont chaque numéro était analysé par nos professeurs. C’est dans ses colonnes que j’ai médité sur le sort d’une tribu “inconnue” découverte en Indonésie, un évènement salué par la presse toute entière. Enfin, ils connaîtront les bienfaits de la civilisation – écrivaient certains de mes collègues. Mon opinion était différente. Bien sûr, ils pourraient dorénavant écouter la radio et voyager en avion, porter des robes en vogue, mais deviendraient-ils pour autant plus heureux? Je fus sévèrement critiqué alors par mes collègues fascinés par l’idée de la civilisation triomphante. 50 ans plus tard, Frédéric Lopez et ses invités traitent le sujet avec beaucoup plus de compréhension.
Prenons par exemple les Himbas. Peut-on imaginer une distance plus grande que celle qui sépare Muriel Robin – cette comédienne et humoriste qui parodie précisemment les excès de notre civilisation surdéveloppée et parfois absurde – de ces femmes himbas, dont la tribu lutte pour la survie dans le désert terriblement aride de Namibie, habituées à gérer la pénurie, à s’adapter, à se faire douces et légères avec leur mère nature? Les Himbas sont “les rois et les reines du développement durable” – c’est la formule employée dans l’émission, où Frédéric Lopez nous explique que sous leur apparence pittoresque (les femmes par exemple ne cachent pas leurs seins…) c’est un peuple très subtile et dont nous aurions beaucoup à apprendre, surtout en chaleur humaine. Muriel Robin est conquise par ces êtres sincères, s’adapte à leur mode de vie et les femmes himbas la saluent comme faisant partie parmi les leurs.
Ce sont ces moments uniques qui conquièrent le spectateur des Rendez-vous sur terres inconnues. Mais nous devons comprendre en même temps que ces femmes et hommes sont en danger. Leur culture – un patrimoine de l’humanité – est menacée ainsi que leur vie.
Il y a quelques 7000 Himbas parmi les 2 millions de Namibiens et, parmi eux, nombreux sont ceux qui vendent leurs bêtes pour financer leurs études et se “moderniser” par ce biais – mais en même temps ils perdent leur identité. Sans vache, plus de lait caillé, base de leur alimentation, plus de graisse animale pour se frotter la peau avec l’ogre sacrée qui protège et hydrate, et plus de lien avec le monde des ancêtres, intercesseurs auprès du créateur. Laissés pour compte, beaucoup d’individus de ces peuples autochtones se perdent dans l’alcoolisme, perdent leur racines, leur simplicité – des vertus que nous, hommes et femmes de la civilisation occidentale, avons oublié depuis longtemps.
De la même façon, les hommes-fleur d’Indonésie sont menacés par la déforestation, par le tourisme, le paludisme; les pasteurs nenetses des tundras par la richesse pétrolifère du sous-sol de leur terre enneigée et froide que les autorités veulent exploiter et même les cavaliers mongols sont de plus en plus nombreux à abandonner les steppes. Par ses rendez-vous filmés sur terre inconnue, Frédéric Lopez nous fait connaître la richesse de notre monde au moment ou l’uniformisation et la mondialisation prennent le dessus partout.
Cette émission a aussi beaucoup été appréciée par les autochtones visités. Nous en étions les témoins, parce que les expéditions de France 2 leur étaient présentées et qu’ils ont remercié la fidélité avec laquelle leur vie dure était présentée au monde entier. Nous avons vu aussi l’émotion et l’humilité avec laquelle les célébrités françaises ont suivi dans le studio les réactions de leurs hôtes d’alors.
Avec ces rendez-vous en terre inconnue, le monde devient de moins en moins inconnu et le lien qui unit tous ses habitants de plus en plus visible. Nous sommes faits de la même matière et nous comprendrons peut-être mieux qu’il faut sauver ces cultures et traditions ancestrales pour sauver notre civilisation toute entière. Que ce soit en même temps un divertissement? Tant pis, la télévision est un métier. Mais les larmes des participants, et des spectateurs, n’étaient pas fausses.
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