Rencontre sur les ondes
C’était en 2001. Jean Ferrat, éloigné du show-business, avait accepté de s’entretenir avec moi, depuis sa maison en Ardèche. Ensemble, nous avions évoqué la chanson française, sa vie et son engagement.
Éva Vámos: Au son de vos chansons, écrits d’après les poèmes de Carco ou d’Apollinaire, on revisite Paris, les quais de la Seine et on entre dans l’univers de grands poètes révolutionnaires. Comment êtes-vous venu vers la poésie ?
Jean Ferrat : Je suis tombé amoureux de la poésie alors que j’étais adolescent. Le premier poète qui m’a saisi était un célèbre poète espagnol, Federico Garcia Lorca – qui est un symbole pour moi, avec d’autres, de la poésie assassinée par le pouvoir. C’était pendant la 2nde guerre mondiale et juste après. J’ai ensuite découvert bien d’autres poètes, comme Aragon, le grand poète sud-américain Pablo Neruda ou bien le poète tchèque Nezval et puis Maria Rilke. J’étais touché par cette grande poésie.
E.V.: Avec votre chanson Nuit et brouillard, vous avez repris le titre du film d’Alain Resnais. Comment un sujet aussi grave pouvait-il figurer parmi vos chansons ?
J.F.: J’ai certes repris le titre du film d’Alain Resnais, mais c’était aussi le nom français de la programmation nazie de l’Holocauste, d’Auschwitz. J’ai été confronté à cette question dans mon enfance et ma jeunesse. Mon père a été arrêté, interné et déporté au camp de concentration d’Auschwitz, où il est mort en 1942. Il était juif. Avec mes frères et ma soeur, nous avons dû fuir, pendant la guerre, le régime de Pétain sous l’égide des nazis. C’est pourquoi je suis très sensible à ce problème et que j’ai voulu réagir à cette époque-là, vers 1962 et 1963, parce qu’il me semblait qu’à la faveur du rapprochement franco-allemand on avait tendance à passer sous silence des horreurs de la barbarie nazie. C’était donc une sorte de cri, de coup de colère contre cet oubli .
E.V.: Est-ce toujours en révolté que vous réagissez à ce qui se passe actuellement dans notre société ?
J.F.: Nous vivons une époque excessivement dangereuse. Depuis quelques années déjà, je pense que le XXIe siècle sera d’une violence extrême où les inégalités de tous genres s’aggraveront et conduiront les gens à se révolter. Malheureusement l’histoire n’a pas tardé à me donner raison puisque les Etats-Unis viennent eux-même d’être victimes de ce terrorisme.
E.V.: Vous cherchez toujours à aborder des sujets très humains et vous contestez l’industrie du show-business en choisissant de vivre dans l’Ardèche.
J.F.: Comme en poésie, je suis tombé en amour pour un pays dont j’ai fait la rencontre il y a 35 ans et cet amour continue. J’ai écrit La montagne quand je suis arrivé dans ce pays qui reflétait – je crois – la vie des hommes de l’Ardèche. Un paysan du coin – un vrai, dans un petit hameau près de chez moi, dans la vallée, m’a dit : «tiens, hier, j’ai entendu notre chanson». Je pense qu’il faut parler aux hommes, qu’il faut leur parler de ce que l’on éprouve, de ses préoccupations, de ses joies, de ses indignations aussi. Quand on arrive à ce genre d’accord avec un certain public, même avec un très grand public comme cela m’est arrivé, je crois qu’un artiste est une sorte de vecteur et aussi de cataliseur des choses. En ce qui concerne la chanson française, je m’indigne toujours de la programmation des radios qui diffusent de la chanson, de la mise à l’écart systématique d’un certain nombre de gens qui font de la chanson française disons traditionnelle et qui sont systématiquement écartés des ondes. Je trouve que c’est très grave pour les créateurs et que ça porte un coup à la culture française en général.
Éva Vámos