Rayonnement et fraternité

Rayonnement et fraternité

De passage à Budapest pour évoquer la saison culturelle européenne, Renaud Donnedieu de Vabres, ambassadeur en charge de la dimension culturelle de la Présidence française de l'Union européenne, a volontiers répondu aux questions du JFB. De la Comédie Française à Ligeti en passant par les défis à venir, l’ancien ministre de la culture français embrasse tous les champs de la création artistique pour mieux affirmer son optimisme face à la crise.

 

 

 JFB : Quels ont été les temps forts de la Saison Culturelle Européenne ?

RDDV : A travers cette Saison Culturelle, nous avons voulu accueillir des expressions artistiques de chacun des pays car cela nous semblait essentiel pour montrer ce foisonnement, cette égalité, cette diversité et ce respect, et ce sur l’ensemble du territoire national. De manière symétrique, nous avons voulu qu’un certain nombre d’artistes et d’institutions françaises soient présents en Europe, mais à chaque fois en célébrant cette diversité européenne. Il y a l’exemple de Laurence Equilbey qui a donné plusieurs concerts à travers l’UE. Parmi les compositeurs qu’elle a choisis figure notamment Ligeti, célèbre compositeur hongrois. Par ailleurs, la Comédie Française vient très bientôt à Budapest et Muriel Mayette (Administratrice générale de la Comédie Française) a veillé à ce que la programmation allie le patrimoine, la tradition et la fierté français, mais mis en scène par un metteur en scène britannique, avec toute l’électricité dont peuvent être capables les metteurs en scène britanniques. On a ainsi essayé de créer des événements phares qui mettent en scène cette diversité. En France, le dernier temps fort sera au Grand Palais, le lieu du prestige absolu de la capitale avec une grande création numérique puisque l’intégralité de la verrière sera mise en lumière et animée par des images et des créations numériques provenant de nombreux pays de l’UE. Dans toute l’Europe il y a eu de nombreux événements, parfois très scientifiques et qui concernent les élites, et parfois très populaires, parce que je pense que c’est très important de toucher le plus grand nombre.

Il y a donc ce que l’on est fier d’avoir réussi et puis tout ce qui reste devant nous. Dans ce sens, j’ai lancé une idée à laquelle je tiens beaucoup et que nous n’avons pas pu réaliser, qui est de faire en sorte qu’au moment des journées du Patrimoine, qui se déroulent en même temps dans tous les pays européens, on essaye de mobiliser les chaînes publiques de télévision pour que soit diffusée en direct dans les 27 pays une sorte de Nuit de la culture européenne qui soit comme un voyage. Faire ainsi découvrir dans une même soirée un lieu magnifique de Budapest, de Prague, de Paris, de Madrid et de chacune des capitales d’Europe, avec à chaque fois une expression artistique différente. Je pense que cela aura un succès populaire immense et que cela donnera corps à cette magnifique expression de Victor Hugo : « la fraternité européenne ».

 JFB : Les réseaux culturels en Europe fonctionnent-ils bien ou ont-ils besoin des institutions pour exister ?

RDDV : Ils n’ont pas assez de moyens. Lorsque l’on regarde la part du cinéma américain ou la part de la musique anglo-saxonne en Europe, et l’absence de notoriété d’un certain nombre d’artistes de chacun de nos pays dans les autres pays européens, on s’aperçoit que l’on a un travail énorme à faire. C’est là qu’il y a une répartition des rôles, car ce travail doit certes venir des artistes et des entreprises culturelles elles-mêmes, mais il faut les mettre à l’abri du caractère brutal de la loi du marché. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais que l’on arrive à imaginer au niveau européen un concept “d’indépendants culturels”, et qu’il y ait un statut fiscal et social ainsi que des aides financières pour eux à partir du moment où ils s’assignent comme mission de tourner en Europe. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire par exemple qu’une librairie qui accueillerait en son sein toute une série d’ouvrages traduits en provenance d’autres pays européens devrait être soutenue financièrement par la Communauté européenne. Un jeune musicien, qu’il fasse de la musique très contemporaine ou de la musique classique, qui entame une tournée dans au moins dix pays européens, devrait recevoir une aide de la Commission européenne. Il faut donc à la fois que les institutions fonctionnent, aident, mais aussi, bien évidemment, que les entreprises culturelles et les artistes puissent avoir un fonctionnement financier et économique décent. On a beaucoup de travail à faire dans ce sens et s’il y a d’ores et déjà une vraie mobilisation autour de ces questions, il faudrait qu’un jour, ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’Europe, une question culturelle soit à l’ordre du jour du Conseil européen.

JFB : Vous avez récemment co-signé, avec onze autres personnalités du monde de la culture, un article qui s’intitule Face à la crise, la culture. (cf. Le Monde daté du 14 novembre). Pourtant n’y a-t-il pas un danger de repli culturel, précisément en ces temps de crise ? Et ce texte n’est-t-il pas un cri d’alarme justement parce qu’il y a danger ?

RDDV : En tant qu’ancien ministre de la culture, j’ai fait preuve de beaucoup d’énergie pour défendre un certain nombre de dossiers et je trouve que c’est injuste. J’étais très heureux de la faire, mais je dis que c’est injuste car je trouve inacceptable qu’il y ait de grands secteurs d’interventions qui soient considérés comme légitimes et normaux et d’autres moins. Quand on parle de recherche, tout le monde s’accorde pour donner beaucoup d’argent : c’est normal, c’est l’avenir, c’est de la prospective… Mais lorsque l’on parle de culture, on dit que c’est une dépense. Et bien non, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement ! Il faut faire très attention car dans la période actuelle, la globalisation fait craindre aux citoyens un risque d’uniformisation, de standardisation et de «marchandisation» excessive. Et face à ce risque d’uniformisation, l’autre risque c’est le repli identitaire. Je pense que la mission politique de l’UE est de protéger, de mettre en valeur, de faire vivre cette diversité. Non pas comme une constellation de petites identités, mais en tant qu’identités respectées et partagées par les autres. C’est un gros travail, mais c’est aussi un défi politique absolument passionnant. Cet article expose ainsi notre volonté de mobiliser, mais aussi de décloisonner : il faut que le monde politique, le monde économique, le monde culturel et artistique, en se respectant, mesurent un peu plus ce que les uns et les autres représentent. Dans ce sens, et je le dis avec humour, le forum d’Avignon était un “avertissement solennel” à tous les ministres des finances des pays européens qui ont du mal à ouvrir la caisse dès qu’il s’agit de culture…

 JFB : Au-delà de la culture, la crise actuelle est-elle selon vous l’occasion d’un rapprochement entre les nouveaux entrants et les anciens pays européens ?

RDDV : Incontestablement, il y a de nouveaux réflexes qui sont en train de naître. On n’imagine pas possible, politiquement, face à une crise d’une telle ampleur, qu’il n’y ait pas immédiatement une concertation des pays européens. Je pense d’ailleurs que les choses progressent de la même manière qu’au moment de l’Irak, lorsqu’il y avait de grandes divisions au niveau des gouvernements mais la naissance d’une opinion publique européenne. Effectivement, aujourd’hui, on se rend bien compte que l’on est obligé d’être ensemble. Et si on ne l’était pas, ce serait une étape supplémentaire de crise. Il y a parfois des tensions et tout le monde n’a pas exactement la même tradition d’intervention politique dans le champ économique, mais je pense que la crise a renforcé les liens, c’est absolument incontestable. C’était en tout cas urgent et nécessaire.

Frédérique Lemerre

 

Catégorie