Quelle politique étrangère pour la Hongrie du Fidesz?
C'était une campagne pour la forme, pas pour les idées. Il est donc assez difficile de prévoir ce que le futur gouvernement de Viktor Orbán va faire du chèque en blanc que les électeurs hongrois viennent de lui signer. Les orientations politiques du futur Premier Ministre sont quelques peu brumeuses, même en termes de politique étrangère, pourtant un domaine où il devrait avoir une certaine marge de manœuvres.
La politique extérieure hongroise devrait en tout logique servir d'exutoire à une situation domestique complexe. L'enjeu est néanmoins crucial puisque la Hongrie, pays incontournable en Europe centrale, doit faire face à de nombreux défis dans ses relations avec l'étranger.
Économie nationale(isée) dans un engagement international
Dans un contexte économique et financier très tendu, la politique économique du Fidesz se veut protectrice et créatrice d'emplois. Ce qui semble signifier un abandon de la stricte politique de rigueur que les socialistes ont mené jusqu'à présent et une possible entrave aux engagements hongrois vis-à-vis du Fonds Monétaire International. György Kovács, analyste pour UBS à Londres, estime que la perspective d'un gouvernement de majorité absolue pourrait certes envoyer un signal positif aux marchés en termes de capacité de réformes.
Mais le flou qui entoure le programme économique du Fidesz et l'inquiétude des bailleurs de fonds internationaux sur une possible renégociation des conditions de prêt pourraient remettre en cause toute initiative de V. Orbán.
L'inquiétude est d'autant plus forte que les derniers mois ont été marqués par un durcissement des positions face aux investissements étrangers. Après l'occupation des locaux de Suez par la municipalité de Pécs fin septembre 2009, le Fidesz a laissé entendre à plusieurs reprises que le capital étranger était moins bienvenu qu'auparavant en Hongrie. Le 31 mars, V. Orbán s'est de même strictement prononcé contre la levée du moratoire européen sur l'achat de terres par d'autres ressortissants de l'Union Européenne (UE). Se proclamant dédié à la protection de la terre hongroise, il a affirmé sans détours que les «étrangers n'achèteront jamais de terre arable ici, quoiqu'ils en décident à Bruxelles». Une position qui va à l'encontre du droit communautaire et qui pourrait envoyer directement la Hongrie devant la Cour de Justice de Luxembourg.
Reprendre une place en Europe
Manquer de respect à ses engagements européens pourrait coûter cher au Fidesz qui perdrait là l'une de ses seules occasions de briller sur la scène internationale. En effet, le pays est en passe d'assurer la présidence tournante de l'UE pendant le premier semestre 2011. Bien que l'importance de cette fonction ait été diluée par le traité de Lisbonne, sa dimension symbolique demeure essentielle. En particulier si la Hongrie parvient à faire de la Stratégie européenne pour le Danube, actuellement en cours d'élaboration, l'une des priorités de sa présidence.
Le développement de cette stratégie est intimement lié aux efforts hongrois de s'assurer une certaine autonomie énergétique. Une des rares promesses de campagne de V. Orbán laisse ainsi entrevoir une «indépendance» énergétique d'ici vingt ans. La teneur de cette indépendance semble cependant conditionnée à l'avancée des projets de gazoducs South Stream et Nabucco, qui consacreront dans tous les cas une dépendance au gaz étranger. L'implication de la Hongrie dans le projet South Stream devrait être confirmée et relancer les relations bilatérales avec la Russie, chères à V. Orbán. Déjà en novembre 2009, l'ambassadeur russe à Budapest vantait une rencontre informelle avec Vladimir Poutine, déclarant que les relations entre les deux pays étaient parmi «les meilleures» dans la région.
L’un des principaux enjeux d'un gouvernement Fidesz est donc la place de la Hongrie, et en premier lieu en Europe centrale. En la matière, rien n'est acquis. Si le pays profite de la coopération entre les «4 Visegrád» (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie) pour promouvoir un modèle de bonne coopération régionale, V. Orbán semble suffisamment proche du président roumain Traian Basescu pour avoir figuré sur un de ses posters de campagne en novembre 2009. A travers un gouvernement Fidesz, la Hongrie semble être en mesure de conserver un rôle central en Europe centrale et de développer des coopérations fructueuses avec ses voisins.
La question des minorités, encore et toujours.
Beaucoup va donc dépendre de l'attitude de V. Orbán vis-à-vis des minorités hongroises vivant autour du pays. Ses propos sur la loi slovaque sur la langue ont plusieurs fois défrayé la chronique et ne laisse guère présager un apaisement des tensions entre les deux pays. Surtout en prenant en compte que les élections législatives de juin devraient y légitimer le gouvernement populiste en place. La perspective d'offrir la double-citoyenneté aux Hongrois vivant à «l'étranger proche» de la Hongrie angoisse plus d'un gouvernement et risque de raviver d'anciens démons, vieux d'il y a déjà 90 ans. Baser une partie essentielle de sa politique étrangère sur cette question est à haut risque, plus pour la Hongrie que pour le Fidesz.
Sébastien Gobert
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