«Quatre tiers des Hongrois»

«Quatre tiers des Hongrois»

Après avoir voté une loi permettant aux magyars vivant en dehors de la Hongrie d’obtenir la nationalité hongroise, la majorité poursuit dans cette direction en annonçant le vote d’une loi accordant à ces personnes le droit de vote aux élections hongroises. L’occasion de revenir sur les motivations de cette politique et sur la conception qu’a le Fidesz de la nation hongroise.

La première loi votée par la nouvelle majorité a été celle permettant aux membres des minorités hongroises vivant notamment en Slovaquie, Roumanie et Serbie (environ 2,5 millions de personnes) d’obtenir plus facilement la nationalité hongroise. Tout un symbole. En effet le Fidesz en avait fait un thème central de sa campagne et Pál Schmitt, tout juste élu Président de la République par la nouvelle représentation nationale caractérisée par une majorité de deux tiers, avait déclaré vouloir être à la tête, non pas des deux tiers des hongrois, mais des quatre tiers, faisant allusion aux minorités hongroises vivant à l’étranger. Si le gouvernement fait de ce thème son cheval de bataille, les concernés ont déjà à plusieurs reprises demandé plus de précisions sur le contenu de la loi. A ce jour, la majorité n’a toujours pas fourni de détails et encore moins d’éléments sur le probable vote d’une loi sur l’octroie du droit de vote aux membres de ces minorités. La logique de ces lois et le comportement du Fidesz peuvent cependant être analysés.

Il faut rappeler que c’est l’Etat qui confère la nationalité, laquelle est la condition de l’exercice des droits politiques et civiques du citoyen. En d’autres termes, point de nationalité sans droit de vote. Partant de ce principe, octroyer le droit de vote à des personnes ayant fraîchement obtenues la nationalité hongroise est tout à fait opportun. Néanmoins, plusieurs objections sont proférées au gouvernement. On reproche à la majorité de prendre ces mesures à des fins électoralistes sachant que la plupart des magyars vivant hors de la Hongrie sont favorables au Fidesz. De plus, on accuse le gouvernement de conférer à la citoyenneté une définition trop restrictive. Si la citoyenneté doit être vue comme l’égalité dans l’exercice des droits politiques, elle doit aussi être aussi considérée comme une participation à la vie collective, ce que la majorité évoque rarement. La participation à la vie collective de la nation évoque une définition constructiviste de la nation, héritée de l’idéologie de la Révolution française, qui s’oppose à l’autre, culturaliste, issue de la notion herdérienne de Volkgeist (esprit du peuple). C’est cette dernière définition que les initiateurs de ces lois adoptent. En effet, c’est l’idée de «nation-génie» qui est retenue, idée qui insiste non sur la construction volontaire et rationnelle du lien social, mais sur la tradition et les liens avec le passé qui l’ont tissé. Comme l’écrit encore le philosophe Alain Renaut: «A l’idée d’adhésion réfléchie se substitue celle des liens naturels organiques, par appartenance à une communauté savante de langue et de race». Dans le cadre de ces lois, l’acquisition de la nationalité hongroise pour les personnes concernées n’est pas obligatoire mais devrait s’opérer de manière volontaire. Ce n’est pas pour autant que le Fidesz est tenant de l’idée de «nation-contrat», c'est-à-dire une communauté démocratique, définie par l’adhésion volontaire à des principes publiquement proclamés, puisque les principes sont inexistant en l’espèce. Le fait que l’octroie de la nationalité hongroise soit conditionné par certains critères, tels que posséder la qualité de «hongrois de souche» ou la connaissance de la langue hongroise, montre que le gouvernement prend le parti d’une vision défensive et traditionaliste de la nation. Tourné vers le passé et obsédé par le traité du Trianon, le gouvernement fait le choix de consacrer une conception naturaliste de l’union nationale. Pour lui, la nationalité est une différence absolue entre les hommes et c’est une différence qu’il faut préserver à tout prix contre ce qui pourrait la dénaturer (comprenons le traité du Trianon). La philosophie du gouvernement peut être qualifiée de «traditio-communautaire», c’est-à-dire une doctrine qui revendique le droit à la différence et à l’existence séparée des entités sociales et culturelles, le peuple-souche hongrois (magyarsàg) formant une entité. C’est cette même philosophie qui a créé les notions de négritude, judéité ou encore de peuple corse.

Yann Caspar 

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