Quand le jeune Beethoven s'invite à Buda (concerts commémoratifs)
Beethoven ne se rendit qu’une seule fois à Buda, pour un récital qu’il donna au Thèâtre du Château, l’ancien Cloître des Carmélites (1). C’était au mois de mai 1800. On affluait alors de toute part pour écouter le jeune Beethoven, à l’époque davantage réputé comme pianiste que comme compositeur (2). Un pianiste adulé, qui était la coqueluche du public, notamment auprès des jeunes filles de la haute société. Au rang desquelles figuraient en premier lieu ses élèves Thérèse et Joséphine Brunswick. Les chroniques ont retenu trois séjours de Beethoven auprès de la famille Brunswick à Martonvásár. Plus que des admiratrices, les sœurs Brunswick furent pour lui de véritables amies. Une relation amicale qui se doublait d’un penchant réciproque très marqué entre Beethoven et les deux sœurs. Au point que nombre de ses biographes crurent identifier en l’une d’elles (tantôt l’une, tantôt l’autre) la fameuse „immortelle bien aimée”. Ce qui s’est avéré par la suite erroné (3).
Le célèbre récital de Buda du 7 mai 1800 fut donné à l’occasion du récent mariage entre le Palatin Joseph et la Grande Duchesse de Russie Alexandra Pavlovna et de leur installation au Château de Buda (4). Au programme: la sonate pour piano et cor op. 17, jouée précédemment à Vienne et composée en quelques heures seulement.
Pour commémorer l'évènement, la municipalité du quartier du Château royal organise chaque année sur quatre journée une série de cincerts autour du maître de Bonn. Un programme relativement riche et varié incluant, outre les concerts et récitals traditionnels, des sujets moins rebattus, tel cet ensemble tzigane autour d'une soirée consacrée à la musique populaire de l'époque ou encore cette série d'improvisations sur des thèmes de Beethoven (5).
Pour la chronique des concerts, mon choix se porta en premier lieu sur une soirée au cours de laquelle devaient être interprétés sur instruments d’époque deux concertos pour piano de Mozart (le K 456) et de Beethoven (le 2ème) par un jeune pianiste de 18 ans, Mihály Berecz et l’orchestre Orfeo placé sous la baguette de son fondateur György Vashegyi. Première surprise: le chef, souhaitant associer le nom de Haydn à ceux de Mozart et Beethoven, débuta le concert par une symphonie de ce dernier, la symphonie no 83 en sol mineur, dite „La Poule”, non initialement prévue au programme. Excellente idée, d’autant que cette symphonie est rarement jouée. D’emblée, l’auditoire fut séduit, la sonorité des instruments mettant admirablement en valeur les trouvailles de la partition, notamment avec ces notes répétées du hautbois dans le 2ème mouvement (qui donna son nom à la symphonie). Par ailleurs, le chef précéda l’interprétation d’un commentaire fort intéressant.
Suivit le 18ème concerto K 456 en si bémol majeur de Mozart. Une œuvre claire et lumineuse, absolument délicieuse (le seul concerto que composa Mozart dans cette tonalité). Pour cette interprétation, le choix fut porté sur la copie d’un pianoforte Anton Walter, tel que celui que possédait Mozart. Alors que les interprétations sur pianoforte peuvent souvent s’avérer décevantes (sons métalliques, faible puissance), le choix s’avéra ici idéal. Un piano placé, non en avant, mais intégré dans l’orchestre, disposé en demi-cercle.
Et pour terminer, le 2ème de Beethoven en si bémol majeur, en fait le premier, pratiquement contemporain du concert donné à Buda. Concerto écrit dans la même tonalité que le 18ème de Mozart. Avec lequel il présente effectivement une certaine parenté, sinon stricto sensu dans la partition proprement dite, du moins par son ambiance presque légère (bien que le concerto de Mozart fût écrit 15 ans plus tôt). Parenté soulignée par la sonorité des instruments et du piano. Un concerto qui contraste avec les œuvres ultérieures de Beethoven, qui avouait lui-même ne pas trop l’apprécier. Mais ici, son interprétation par un orchestre réduit, sur instruments d’époque et, surtout ce forte-piano aux sonorités franches et claires, lui collait parfaitement. Fait curieux, le pianiste, outre ses parties de solo, accompagna l’orchestre tout au long de l’œuvre, bien sûr discrètement, ce qui renforçait l’unité de l’ensemble.
Un jeune pianiste dont le nom est à retenir. Alors que, lors d’un précédent concert donné en mai 2015 avec les mêmes partenaires, mais sur un Stenway, son jeu m’avait légèrement laissé sur ma faim, il s’est révélé cette fois-ci absolument remarquable, jouant en finesse, mais offrant tout en même temps un jeu énergique et contrasté. Probablement pour avoir mûri entre temps, mais aussi grâce au forte-piano, visiblement plus maniable. Son nom: Mihály Berecz, 18 ans.
C’était une belle soirée, donc. De plus agrémentée d’explications détaillées par le chef avant chaque œuvre.
Pour clôre le tout, fut donné le lendemain un récital de musique populaire. Particulièrement bienvenu, non seulement pour la qualité et le charme des pièces interprétées, mais aussi pour les explications données sur l’évolution de la musique populaire hongroise et de ses instruments, alors très prisée dans la haute société. Un style - connu sous le nom de „verbunkos” - très caractéristique et bien connu, voire apprécié, de nos compositeurs viennois; au point que ceux-ci, notamment Haydn, s’en inspirèrent souvent dans leurs compositions. Le tout joué par un ensemble, une „bande” (en hongrois „banda”) de très haut niveau (3 violons, contrebasse, clarinette, cymbalum et chant). Récital ponctué par une improvisation sur les notes de l’Hymne à la joie de Beethoven, dont Romain Rolland disait: „Il reste le meilleur ami de ceux qui souffrent et qui luttent.”
Au-delà de la diversité des concerts et de la variété des œuvres présentées, l’originalité de ces journées „Beethoven à Buda” est constituée par leur aspect didactique: mieux faire connaître au public hongrois Beethoven et ses contemporains, les faire au besoin redécouvrir ou du moins encore mieux apprécier.
Un hommage plus que mérité rendu à cet immense génie qui, s’il n’honora qu’une seule fois Buda de sa présence, avait pris les Hongrois en affection. Aujourd’hui encore, les paroles de Franz Schubert restent valables : « Il sait tout, mais nous ne pouvons pas tout comprendre encore et il coulera beaucoup d’eau dans le Danube avant que tout ce que cet homme a créé soit généralement compris ».
Pierre Waline
(1): Buda qui n’était pas encore réunie à Pest et n’était pas la capitale du pays, celle-ci ayant été déplacée à Pozsony, nom hongrois de Presbourg, l’actuelle Bratislava.
(2): Ce n’est qu’à peine deux ans plus tard qu’il allait se savoir définitivement atteint de cette surdité qui mettra fin à sa carrière de soliste, le vouant entièrement à la composition.
(3) L’immortelle bien-aimée: il s’agit de lettres émouvantes retrouvées après la mort de Beethoven, qui témoignent d’une relation amoureuse très profonde avec une personne que l’on n’a jamais pu identifier. Plusieurs femmes ont entretenu avec lui des relations très affectueuses : outre les deux sœurs Joséphine et Thérèse Brunswick, Maria von Erdödy, auxquelles il faut encore ajouter parmi d’autres Bettina Brentano (d’origine francfortoise) et Theresa de Malfati. De véritables enquêtes ont été menées pour trouver l’élue de son cœur. Tout d’abord Thérèse, mais vite évincée par Joséphine, puis, dernière en date, Bettina Brentano.
(4): Joseph de Habsbourg-Lorraine était le frère de l’empereur François 1er. Le titre de Palatin désignait le représentant de l’empereur en Hongrie. Le mariage avait eu lieu en octobre de l’année précédente.
(5): à cette occasion est également organisé auprès des jeunes pianistes hongrois un "concours de cadences". On sait qu’à l’époque (comme aujourd’hui), non seulement les interprètes se faisaient valoir en improvisant des cadences dans les concertos, mais que celles-ci pouvaient également être composées à l’avance; tel Beethoven qui composa des cadences sur des concertos de Mozart (cf. la merveilleuse cadence du 20ème concerto K466).
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