Quand la Comédie-Française est sur les routes d’Europe
Rencontre avec Muriel Mayette à Budapest
C’est une grande tournée théâtrale à travers les dix nouveaux pays de l’Union Européenne qui a clôturé la Présidence française de l’UE et ce fut un succès à Budapest. Nous avons rencontré Muriel Mayette, administratrice générale de la Comédie Française à Budapest qui revient sur le contexte de cette tournée et le spectacle.
La Festa de Spiro Scimone, auteur italien contemporain et les Précieuses Ridicules, comédie de Molière donnée en deuxième partie du spectacle – un collage inouï de deux farces qui ont chacune leur férocité. Elles nous montrent l’homme capable de se détruire, le comique tragique des deux comédies qui nous font pleurer et rire à la fois. Les situations cocasses sont des critiques très violentes de la société.
Muriel Mayette ne voulait surtout pas venir avec une excellence française qui ne prenait aucun risque. Car cette Europe que l’on construit brasse des idées nouvelles et elle nous perturbe aussi. C’est par la culture et par nos différences que l’on doit la bâtir. Le spectacle est monté à travers le regard d’artistes européens, puisqu’il y a énormément de nationalités dans la distribution: un metteur en scène bulgare et un autre britannique, un scénographe belge pour une pièce écrite par un italien, mais aussi un acteur polonais et un autre acteur arménien.
Les mises en scènes sont régulièrement refaites car on n’entend pas les pièces de la même façon. C’est très impressionnant pour la troupe de voir les réactions, très différentes d’un pays à l’autre. Muriel Mayette pense que, par le choix des deux pièces, un dialogue peut s’établir avec le public, dialogue qu’elle ne souhaite pas consensuel, au contraire. Cette tournée permet aussi des échanges avec des artistes d’autres pays qui peuvent enrichir la création et se joindre éventuellement aux comédiens sur le plateau.
Dans la première farce, Scimone parle d’un couple et d’un enfant refermés sur eux-mêmes dans une pauvreté effroyable et l’auteur va tellement loin que nous en rions. C’est exactement cela que Molière faisait à son époque : il a été tellement génial dans sa façon de dépeindre l’homme et ses travers, sa capacité à la bêtise, qu’il est devenu universel. Et comme on n’a pas tellement progressé depuis, cela fait toujours rire. Molière prenait des risques. Ainsi dans Les Précieuses ridicules, il critiquait les médecins, le clergé et ces deux jeunes filles qui s’engouffraient dans un comportement inaccessible où le titre du prétendant était plus important que l’âme. Il est par ailleurs allé très loin en écrivant Don Juan, qui parjure Dieu, et avec la mise en scène de sa propre mort dans le Malade imaginaire.
En la personne de Muriel Mayette on a confié le poste d’administrateur général à une artiste qui a appris ce métier au sein de la troupe : sortie du Conservatoire elle est entrée directement à la Comédie-Française dont elle est devenue très vite sociétaire. Elle pense qu’elle a eu beaucoup de chance car c’est aussi un métier. On y pratique cet artisanat toute l’année et cela permet de développer son talent. Elle a eu l’occasion de jouer de grands rôles très différents dans des pièces de Claudel, de Pirandello, de Strindberg ou encore celles de Molière bien sûr. En ce moment elle continue à mettre en scène car elle ne veut pas perdre son rapport au métier et préfère diriger la maison depuis un plateau.
Elle n’est pas pour la provocation, il ne faut pas moderniser pour moderniser. Par contre le théâtre, c’est l’art d’ici et maintenant. C’est avec son corps vivant qu’on le pratique et en fonction de ce qui se passe actuellement dans la vie, dans nos pays, que l’on doit refaire des mises en scène. Elle essaye de partager le répertoire en deux tiers pour des pièces classiques et un tiers pour des pièces contemporaines, pour penser au théâtre de demain. Il faut trouver un langage scénique esthétiquement plus proche des jeunes car elle est elle-même toujours à la recherche de nouveaux défis.
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Éva Vámos
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