Purge libérale
Mise en relief de la crise qui secoue la zone euro
Il semblerait que la zone euro en soit à cette minute décisive, cet instant où convergent les contradictions et où s’ouvre – ou non – la possibilité de l’après, ce que les Grecs anciens appelaient le kairos.
Entre crise de la dette souveraine et privée, chômage massif, montée des inégalités et absence d’un modèle de croissance valable, les peuples européens sont les spectateurs désespérés d’une déferlante d’austérité budgétaire émanant d’institutions qui font fi des gouvernements démocratiques. Pis encore, absolument aucun gouvernement ne paraît vouloir sérieusement afficher une quelconque réticence à l’égard des ordonnances de la troïka (FMI, BCE, UE). Brisons tout de suite l’idée qui voudrait que M. Orbán soit ce vaillant homme employant toute son énergie à bouter l’huissier étranger, néolibéral à foison, hors de Hongrie. Instauration d’un impôt proportionnel (le plus inégalitaire), coupes massives dans les budgets de l’éducation et de la justice, et, plus récemment, baisse de la durée et du montant des indemnités de chômage (92 jours au lieu de 270 et 100% du salaire minimum contre 120%), pour un total de 37 millions d’euros. Bruxelles applaudit des deux mains. Orbán, anti-européen, peut-être, anti-néolibéral, certainement pas. Ce que la bourgeoisie libérale du SZDSZ a réclamé pendant vingt ans, Orbán le règle en un claquement de doigt.
En Grèce, au Portugal, en Irlande et en Italie, la purge libérale bat son plein avec à chaque fois le même procédé : attaques contre la fonction publique et la protection sociale, régression en matière de retraites, fiscalité inégalitaire et privatisations. Grand patronat, média de masse, institutions internationales, gouvernements sociaux-démocrates et conservateurs n’ont qu’un seul slogan : « Purge ou faillite ! ». La dette publique est devenue le spectre qui hante l’Europe. La réponse consiste en une résurrection de Mme Thatcher. C’est oublier les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés à un tel état d’affolement. Le financement de la dette des États relève en effet d’une absurdité des plus frappantes. La BCE prête au taux avantageux de 1% aux banques privées. Ces dernières exigent de pays comme la Grèce une rémunération bien plus importante : entre 4 et 5% pour des prêts de trois mois, 12% pour 10 ans. Ces taux, asphyxiants pour les États, sont justifiés par le risque de défaut attaché aux titres, risque évalué par les agences de notation, dont même certains olibrius encore aveugles en 2008 s’accordent à dire que leur fonctionnement est problématique. Aujourd’hui, les taux sur 10 ans ont grimpé au-dessus de 16,5%. De plus, pour solidifier cet édifice nauséabond, la BCE garantit les créances détenues par les banques privées en leur rachetant les titres des États à qui elle ne prête pas directement en principe. Bravo les artistes !
Cette énorme pétaudière ne serait pas à l’origine des difficultés de dettes souveraines si la banque centrale prêtait à des taux raisonnables et directement aux États. Pour cela, il faudrait bien évidemment jouer des coudes avec les ténors de la finance et autres spéculateurs, ce que tout les gouvernements européens refusent actuellement. Une autre solution consisterait à combiner revalorisation des salaires au rythme de l’inflation (échelle mobile) et restriction des mouvements de capitaux obligeant les investisseurs à endurer des taux d’intérêts réels négatifs, c’est-à-dire une situation dans laquelle un prêt souscrit à un taux d'intérêt annuel de 5% serait remboursé avec une monnaie fondant de 10% par an. Dans cette configuration, les débiteurs sortiraient gagnants. Là encore, il faudrait défier le monde de la finance puisque les fruits des emprunts reviendraient à la BCE et non aux banques privées. Ces quelques perspectives nécessiteraient, pour être appliquée, une réconciliation entre le pouvoir et la politique, autrement dit un divorce entre le pouvoir et l’économie, ainsi qu’une adéquation entre majorité politique et majorité sociale permettant de sortir du schéma « purge-faillite » que l’on tente froidement d’imposer aux Européens.
Yann Caspar