Puits sans fond
Dépenses pour l’intégration des Roms
Bien que le gouvernement hongrois ait dépensé environ 150 milliards de HUF lors des 20 dernières années pour lutter contre la ségrégation de la minorité rome, ses conditions de vie se sont plutôt dégradées au cours de cette période.
Les évènements des semaines dernières ont bien démontré ce que les Hongrois pensent actuellement des Roms. De nombreux manifestants ont ainsi apporté leur soutien au préfet de police, Albert Pásztor, après que ce dernier a annoncé que «les agressions en pleine rue sont toutes déclenchées par des Tziganes !». Une semaine plus tard, l’opinion publique s'est de nouveau retournée contre les Roms suite au meurtre du handballeur roumain, Marian Cozma, meurtre auquel ont participé plusieurs personnes d’origine tzigane. La semaine dernière, l’attentat contre une famille rome à Tatárszentgyörgy (lire brève dans la revue de presse en page 2) a quant à elle été beaucoup moins relayée, bien que la police envisage que cet assasinat fasse partie d’une série d'attentats probablement motivés par des raisons racistes.
L’intégration des Roms cause d'importantes tensions au sein de la société, et ce bien que les Roms vivent en Hongrie depuis plus de six siècles. La majorité des Hongrois font preuve de discriminations envers ce groupe et, selon un sondage de l’institut de recherche hongrois Tárki, environ 80% d'entre eux pensent qu'«ils ont le crime dans le sang». Selon l’étude des sociologues István Kemény, Béla Jánky et Gabriella Lengyel, la durée de vie des Roms est beaucoup plus courte que celle de la majorité, tandis que presque la moitié de la population rome a moins de 19 ans. De plus, moins d’1 % des Roms étudie actuellement au sein des universités hongroises. Il n'est donc pas étonnant qu’à l'heure actuelle seulement un Rom sur cinq occupe un emploi, contrairement à la période qui précédait le changement de régime, lorsque près de 70% d'entre eux travaillaient.
Cependant, l’Etat hongrois a déjà dépensé plus de 150 milliards de HUF au total au cours des deux dernières décennies pour l’intégration des Roms – résume une étude publiée l’année dernière par la Cour des Comptes, qui a ainsi démontré que l’efficacité des mesures de lutte contre la discrimination à l'égard des Roms ne dépend pas des sommes engagées. Le premier gouvernement de la jeune République de Hongrie, dirigé par Antall József, est celui qui a consacré le moins de moyens financiers à cette cause, tout en faisant beaucoup puisqu'il a posé les bases de la politique des minorités en créant des lois et des institutions fondamentales pour l'avenir. Son successeur, le Premier ministre Gyula Horn et son cabinet, a instauré le système des autorités locales tziganes (Cigány Önkormányzat) et mis en place l'accès à la scolarité pour les minorités. Cependant, ils ont davantage investi dans les aspects administratifs que dans des actions concrètes. Puis, au lieu de poursuivre les plans de son prédécesseur, le gouvernement Fidesz, au pouvoir entre 1998 et 2002, a perdu beaucoup de temps et d'argent pour mettre en place sa propre politique de soutien aux minorités en subventionnant en particulier la culture rome et en entamant des programmes agraires grâce auxquels environ un millier de Roms se sont vus céder des parcelles cultivables. Péter Medgyessy n’a quant à lui pas eu beaucoup temps pour se montrer efficace lors de ses deux années passées au pouvoir, entre 2002 et 2004, alors que Ferenc Gyurcsány débutait sa carrière de Premier ministre avec une phrase en langue tzigane lovari en disant qu’«il n’y a qu’une seule Hongrie: un pays commun aux Roms et aux Hongrois». Il a promis de fermer les camps tziganes, d'intégrer la population rome dans l’éducation publique et d’employer de nombreux Roms dans l’administration dans le cadre de la Décennie de l’Intégration des Roms entre 2007 et 2015, dont les résultats sont marginaux pour le moment.
La Cour des Comptes explique l'inefficacité de ces mesures par le fait qu’aucun gouvernement au pouvoir depuis les années 90’ n’a reconnu que la problématique rome était une question complexe. De plus, une grande partie des subventions n’était pas seulement distribuée aux Roms, mais aussi à d'autres groupes sociaux en difficulté. Il est difficile de mesurer quelle part de ces aides a finalement atteint sa cible originale car, en Hongrie, le traitement des données ne permet pas de collecter des informations relatives à l’origine ethnique. Le rapport de la Cour des Comptes ainsi qu'un nouveau rapport émanant de la Commission européenne dans le cadre de la lutte contre le racisme proposent désormais de changer le système des statistiques afin de disposer de renseignements sur les besoins réels de la population rome et sur les manques dans le système d’intégration.
Judit Zeisler