Prélude à la prochaine saison de l’orchestre du Festival de Budapest
Rencontre avec Iván Fischer
Après la journée-marathon Stravinsky couronnée par Le Sacre du printemps à Budapest, Iván Fischer tient salon dans l’ancien appartement familial devenu lieu de spectacles. Le célèbre chef d’orchestre et directeur artistique de la journée Stravinsky commente devant les journalistes la prochaine saison de son orchestre dans les salles de concerts les plus prestigieuses, voire dans des lieux insolites avec des programmes surprise. Pour les lecteurs de notre journal, il a bien voulu nous parler de ses relations avec la France et son public.
C’est en face de l’opéra que l’on se retrouve dans l’appartement de famille des Fischer, aménagé en théâtre dans une intimité empreinte de simplicité et de chaleur - toute à son image.
Iván Fischer n’hésita pas à qualifier ses relations avec la France et son public d’emblée d’excellentes. Tant pour ce qui concerne les salles que le public. Se produisant régulièrement à la salle Pleyel et à la Cité de la Musique, le chef et son orchestre n’ont pas encore eu l’occasion de tester la nouvelle salle de la Philharmonie, ce qui ne saurait tarder. Quant au public, Iván Fischer ne nous cacha pas son enthousiasme, et ce non seulement à propos du public parisien, mais également pour le public lyonnais où, se rappelant qu’il fut plusieurs années directeur musical de l’Opéra de Lyon, il y a encore de nombreux amis qui suivent fidèlement ses concerts.
Il ne faut pas oublier non plus que des musiciens français se produisent fréquemment avec l’Orchestre du Festival. Ainsi, l’année dernière, la soirée Messiaen fut un événement majeur avec l’éminent pianiste Roger Muraro qui a connu Messiaen de son vivant. On a eu alors un peu le sentiment que Messiaen était présent, aux côtés des musiciens qui jouaient la Symphonie Turangalila. Le chef hongrois apprécie tout autant la musique française contemporaine (telle celle de son ami Pierre Boulez) que la musique française baroque des grands maîtres comme Rameau, Lully très en vogue à la cour de Versailles; la qualifiant selon le terme français de « bon goût ». A tel point que deux soirées vont lui être exclusivement consacrées (les 27 et 28 novembre sous la direction de Kujiken).
Iván Fischer exprima enfin sa reconnaissance envers la France pour l’avoir décoré Chevalier des Arts et des Lettres. Une distinction d’autant méritée que lui est son orchestre ont contribué grandement à la diffusion de culture française par leurs concerts. Et cela continue grâce aux émissions de radio et de télévision, dont les productions de la chaîne MEZZO qui jouent un rôle particulièrement importantes.
Lorsque ses fondateurs Zoltán Kocsis et Iván Fischer choisirent de baptiser ainsi l’orchestre du Festival de Budapest (Budapesti Fesztiválzenekar), comme ils étaient inspirés ! C’était en 1983 et sa destination initiale était effectivement de ne se produire que de façon saisonnière. Mais à partir de 1992, l’orchestre devint permanent. Mais nous offrant toujours « un caractère festif » ! Car chacune de ses interventions est effectivement accueillie comme une fête. Une phalange désormais reconnue par la presse (New York Times, Le Figaro) comme parmi les meilleures au monde. Grâce à son chef Iván Fischer.
Le maître nous présenta le programme de la saison 2015-2016. Un programme où l’accent est mis, au-delà des concerts traditionnels en salle, sur des interventions «hors les murs». Pour aller au-devant du public, notamment des jeunes, des tout jeunes et des familles ou en multipliant les tournées à l’étranger. Car, pour Iván Fischer, l’important n’est pas de jouer parfaitement (ce que, de toute façon, son orchestre réalise), mais de savoir s’adapter, ne pas s’enfermer dans la routine, se renouveler, changer de cadre et de public pour gagner ainsi en souplesse et, surtout faire aimer la musique à un plus large public possible. Un peu à l’instar de ce que fait en France un Jean-Claude Casadesus.
Tels ces concerts-chocolat destinés aux plus petits : 11 dans l’année, dont un spécialement consacré aux enfants autistes . Ou encore les Midnight musics où, quatre fois par an, le chef et sa phalange n’hésitent pas à côtoyer le monde des discos pour aller la nuit au devant des adolescents : un franc succès. Parallèllement à cela, Iván Fischer et son orchestre s’emploient à encourager l’enseignement de la musique en allant dans les écoles avec un temps fort dit «Pique-nique familial » : une journée au cours de laquelle parents et enfants auront tout le loisir de côtoyer les musiciens, découvrir leurs instruments, voire les essayer (cette année, le 7 juin).
Fischer et ses amis vont nous offrir cette année un immense Concert dansant en plein air, sur la place des Héros de Budapest sous le mot d’ordre à l’adresse des enfants «Viens danser avec nous». Tandis que l’orchestre jouera le Songe d’une Nuit d’été, plus de 200 enfants venus de province, issus de milieux en difficulté (dont la moitié de roms) danseront au pied du podium. Cette manifestation, ouverte à tous, viendra presque à point pour fêter l’été - d’où le choix de l’œuvre - puisqu’elle se tiendra le 18 juin.
Pour ce qui est du programme proprement dit, relevons entre autre la prochaine Journée marathon qui sera consacrée le 31 janvier à Felix Mendelssohn. Une saison qui s’ouvrira à nouveau avec le festival international «Bridging Europe » (Passerelles sur l’Europe) dont le pays vedette sera cette année l’Autriche (d’où un accent mis entre autre sur les musiques de Mahler et Mozart).
Et, bien évidemment, encore et toujours des tournées : d’Edinburgh au Concertgebouw d’Amsterdam en passant par Londres, Rome, Athènes, Bonn, Vienne, Aix en Provence, Toulouse, les USA, le Canada et bien d’autres destinations. Interrogé à ce sujet, Iván Fischer n’hésita pas à souligner l’importance de ces sorties qui prennent, certes, beaucoup de temps et d’effort. Mais, tout en renforçant la convivialité entre les membres de l’orchestre, ces tournées obligent les musiciens à s’adapter à des environnements (salles, acoustiques, publics) nouveaux et gagner ainsi en souplesse. Sans compter la plus value inestimable qu’elles apportent à l’image du pays de par le monde.
Autre temps fort de cette saison 2015-2016: La Flûte enchantée qui sera reprise à l’étranger (dont New York) avec des dialogues en anglais. A cet égard, Iván Fischer va innover en présentant également à Budapest une version de la Flûte avec dialogues en anglais, ceci pour ne pas léser les nombreux expatriés - non magyarophones - résidant à Budapest. C’était un pur enchantement cette année la représentation de la Flûte enchantée au palais des Arts de Budapest.
Iván Fischer et sa formation nous avaient déjà comblés dans cette même salle avec une représentation de Don Juan en 2011 et des Noces de Figaro en 2013. Un Iván Fischer dont, outre les qualités de chef universellement reconnu, les talents de metteur en scène nous sont ici une fois de plus prouvés. Il pense que La Flûte enchantée constitue pour chacun d’entre nous un merveilleux souvenir de notre enfance qui nous accompagne tout au long de notre vie. Car cet opéra parle tout en même temps aux enfants et aux adultes. Une oeuvre aux vertus magiques, insondable.
Nous avons tous connu des représentations diverses de la Flûte, tantôt sérieuses, voire solennelles, accentuant son approche franc-maçonnique, tantôt au contraire en Singspiel populaire à la Schikaneder, avec son léger côté „Hanswurst” . Mais, de la sorte, du pratiquement jamais vu...
Une scène aux dimensions réduites, s’agissant d’une salle de concert. Un espace restreint, mais fort habilement utilisé par Iván Fischer: un plan en deux dimensions, tel un livre d’images par dessus lequel se profilent les personnages ou silouhettes en ombres chinoises. Le tout dans d’agréables coloris en pastel, que ce soit le fond (le livre d’images) ou les costumes.
Le tout chanté en allemand, mais chaque rôle étant dédoublé par l’intervention d’un acteur s’exprimant en hongrois. Les deux facettes du personnage (le chanteur et l’acteur) se confondent sans cesse.C’est un spectacle agrémenté ici et là de petites surprises.
Côté chanteurs: excellentes prestations par une équipe jeune et engagée. Même remarque pour les acteurs hongrois. Une é quipe internationale dominée par un couple Pamina/Papageno idéal. Pour Pamina: la soprane catalane Nuria Rial, spécialiste de musique ancienne, mais également bien rôdée à l’opéra classique, connue et appréciée des mélomanes pour la pureté de son timbre. Et un Papageno truculent à souhait incarné par le baryton-basse allemand Hanno Müller-Brachmann, bien connu du public de la Philharmonie de Berlin. A leurs côtés un excellent Tamino au timbre pur et tout en nuances -le Français Stanislas de Barbeyrac- et sa toute jeune compatriote Norma Nahoun en charmante Papagena.Le Français Rodolphe Briand dans le rôle de Monostatos est parfaitement crédible et sans ces excès outranciers dont on accable parfois le personnage. Excellentes également, les Trois Dames.
Il y a un va-et-vient constant (invisible depuis la salle) des musiciens entre la fosse et les coulisses tout au long du second acte. Avec même un moment où, partagé en deux, l’ochestre se voit attribuer deux chefs: Fischer dans les coulisses et son assistant dans la fosse. Et, lorsque s’ouvre la scène finale („Die Strahlen der Sonne..”), quelle n’est pas notre surprise de voir le rideau s’ouvrir sur tout l’ochestre au grand complet sur la scène! Un opéra qui, au moment des applaudissements, s’achève donc en „version concert” en plein éclairage.
Une magie à ne pas manquer comme les autres concerts et spectacles de la saison prochaine avec l’Orchestre du Festival sous la baguette de Iván Fischer. Un film documentaire consacré au maître et aux tournées de l’ochestre sortira d’ailleurs dans les salles de Budapest le 12 avril prochain.
propos recueillis par Éva Vámos et Pierre Waline