Pour une meilleure compréhension mutuelle
Un entretien avec M. László Madarász
Bien que peu connu du grand public, du fait de sa trop grande discrétion, László Madarász est ce que l’on appelle un homme d’exception. Au cœur des relations franco-hongroises depuis 22 ans, il a été le premier président de la CCIFH jusqu’en 1997. Diplômé de HEC et de la Harvard Business School, banquier réputé, membre de nombreux conseils d’administration, chevalier de l’Ordre National du Mérite et de la Légion d’honneur, médiateur nommé par le gouvernement hongrois pour les conflits d’intérêts entre la Hongrie et certaines grandes entreprises françaises jusqu’en décembre 2011, il siège aujourd’hui, entre autres, au Conseil de surveillance de la Banque centrale de Hongrie.
M. Madarász a accepté de retracer son parcours pour le JFB et nous livre son analyse sur la situation actuelle et sur les clefs d’une meilleure compréhension mutuelle.
Vous avez quitté la Hongrie à dix-sept ans pour vous réfugier en France…
J’ai pris cette décision seul en 1957, sans même prévenir ma mère. J’ai réussi à aller en Yougoslavie puis à rejoindre la France. Les premières années furent très difficiles, j’ai dû apprendre le français, passer l’examen d’équivalence au baccalauréat et travailler dur pour gagner ma vie. S’integrerá la société francaise n’était pas facile pour un réfugié politique, j’y ai quand même réussi, grace á quelques bonnes volontés. Il faut cependant remarquer, qu’au point de vue des mentalités, nos deux pays ont de grandes similitudes.
Vous avez fait néanmoins des études brillantes…
J’ai toujours été bon dans les études. Avec une détermination et un travail exceptionnels, j’ai réussi à rentrer dans une des grandes écoles françaises. Quant á Harvard, je le dois surtout à la BNP. C’est la BNP qui a financé mes études et m’a permis de les faire tout en étant rémunéré. C’est pour cela aussi, que je suis resté très attaché à ce groupe et que je défends les multinationales. Les grandes entreprises de ce type ont souvent une mauvaise image, pourtant la grande majorité d’entre elles ont un fonctionnement tout á fait normal et ce qu’il faut souligner, c’est qu’elles prennent un grand soin de la formation de leur capital humain.
En 1974, vous partez travailler pour la BNP aux États-Unis et au Canada jusqu’à ce qu’en 1991, le président du groupe vous demande de diriger la représentation commerciale de la BNP en Hongrie et d’en faire une véritable banque. Peu après, on vous propose de prendre la tête de la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-Hongroise qui allait être créée...
Il s’agissait d’aider les entreprises françaises à s’implanter en Hongrie et d’aider les entreprises hongroises à rencontrer dans de bonnes conditions leurs interlocuteurs français. Les réunions étaient très amicales et l’ambiance informelle. C’était une structure réellement paritaire avec des moyens assez réduits. Puis, au fil des années nous l’avons développée en organisant plus de rencontres, en allant présenter la Hongrie en France, en créant des groupes de travail et des partenariats.
En 1998, vous quittez vos fonctions à la demande du gouvernement hongrois qui vous demande de redresser la Postabank alors au bord de la faillite…
La direction de la BNP m’a permis de me mettre en disponibilité et de réaliser cette tâche pendant quatre ans. Nous avions un joli projet qui est aujourd’hui de nouveau d’actualité. Nous voulions faire de cette banque une grande banque hongroise car la grande majorité du système bancaire hongrois avait été privatisée dans les années 90. Toutefois le gouvernement en place après les élections de 2002 a décidé de la privatiser néanmoins. Remercié par ce dernier, je suis revenu au Conseil d’administration de la BNP et à d’autres projets. Comme vous le savez, le gouvernement hongrois considère aujourd’hui qu’il n’est pas tout à fait normal que 80 % du système bancaire soit entre les mains d’investisseurs étrangers.
Fin 2010, alors que vous présidiez le Conseil de surveillance de MALÉV, des conflits surviennent avec plusieurs sociétés françaises, le cas le plus connu étant celui du groupe Alstom, et les autorités hongroises vous demandent de d’être le médiateur pour le côté hongrois.
Cette idée fut conjointement adoptée par MM. Orbán et Sarkozy sur une proposition de ce dernier. Nous avons eu quelques succès, avec les négociations concernant le groupe Alstom qui ont pu reprendre, avec les problèmes que connaissait Antenna Hungaria qui ont été résolus et d’autres dossiers. Par contre, et c’est pour cela que d’un commun accord nous avons demandé la fin de notre mission, il y avait d’autres dossiers qui impliquaient des décisions politiques et pour lesquels nous ne pouvions rien faire. Que peuvent faire des médiateurs si le dossier implique un vote du Parlement hongrois? Il reste un certain nombre d’affaires qui sont encore en négociation ou qui sont aujourd’hui traitées à Bruxelles, comme le dossier de l’énergie ou celui de Chèques déjeuners.
Comment pourrait-on améliorer les relations franco-hongroises ?
Les relations diplomatiques sont bonnes même si la situation est difficile car certaines lois, certains points de la Constitution sont aujourd’hui mal compris en France. Il faudrait une meilleure compréhension mutuelle.
Du côté hongrois mieux comprendre les enjeux et les stratégies des entreprises françaises et du côté français la politique économique de ce gouvernement. On à l’impression que l’Occident ne veut plus prendre en compte ce qui s’est passé dans ce pays pendant les années du communisme. Il y a les gens qui en ont profité, qui s’arrangeaient, qui ont relativement bien vécu dans ce système et il y a ceux qui en ont souffert. Ce pays en est encore terriblement déchiré et cet état de fait ne disparaîtra pas pendant encore vingt ou trente ans. Nous en sommes à la troisieme génération, il y a la mienne, celle d’Orbán Viktor et il y a celle de nos enfants qui en subissent encore les conséquences. L’inefficacité économique, la corruption, la faiblesse du niveau de vie, la très grande pauvreté des retraités-on pourrait continuer-viennent de ce passé infiniment triste.
Pourquoi avoir refait la Constitutions et certaines lois fondamentales ? Parce que, ce gouvernement a la majorité des deux-tiers, le pouvoir de procéder à des changements, souvent symboliques mais sentimentalement, émotivement, très importants. Pour souligner le poids de cette majorité, il faut signaler que si la Hongrie avait le systeme électoral anglais, le Parlement hongrois n’aurait que trois députés de l’opposition.
Ce gouvernement et surtout son premier ministre sont attaqués, non seulement par la gauche ici mais par leurs alliés dans toute l’Europe. Pourtant lorsque l’on examine les choses objectivement á Bruxelles ou ailleurs, on réalise finalement que ce pays n’est pas une dictature ou sur un mauvais chemin. Il ne faut pas exagérer, tirer des conclusions extrémistes sur ce que veut la Hongrie. D’ailleurs quels sont vraiment les problemes avec les objectifs fondamentaux de la politique hongroise : maitrise de l’endettement du pays, création d’emplois, défense des intérêts nationaux, restauration de la fierté d’être hongrois ?
Bien entendu, je ne veux pas dire que tout va bien en Hongrie. Je veux simplement dire que dans cette Europe tellement secouée par la crise, ce pays ne s’en sort pas finalement plus mal que beaucoup d’autres. Quant á la politique politicienne et á ses jugements sur la situation actuelle, il faut rappeler que cette politique a ses propres raisons. Tous ceux qui se contentent d’apprécier ce pays seulement avec la même attitude n’auront qu’une vue assez éloignée de la réalité. Une meilleure compréhension de cette derniere viendra d’un dialogue ouvert, animé par la bonne volonté et le respect réciproque.
X.G.
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