Piste noire
Échos de la francophonie
La chronique de Dénes Baracs
De retour d’une semaine de vacances de neige, j’ai deux bonnes nouvelles à partager avec vous, chers lecteurs.
La première, c’est que votre chroniqueur est sain et sauf, ce qui est déjà un exploit dans ce genre de passe temps. La deuxième, c’est que malgré les nouvelles glaciales de l’économie mondiale, la saison s’annonce très bonne: neige en abondance, installations plus performantes que jamais pour répondre aux besoins toujours plus complexes des vacanciers, beaucoup de monde sur les pistes, dans les hôtels, les restaurants et les boutiques. Bref le paradis, et pour cause, le complexe touristique en question se présente modestement comme Skiparadies, paradis du ski, notamment à Zauchensee, en Autriche.
Au sommet, à une altitude de 2100 mètres, je me suis arrêté pour passer en revue mes souvenirs de skieur. Des épisodes oubliés depuis longtemps, rafraîchis pourtant par la vitrine d’un magasin de sport dans le village d'Altenmark qui exposa d'anciennes paires de skis en espérant attirer encore plus de clients à travers la présentation de ces objets antédiluviens. Oui, c’était ainsi il y a quelque 60 ans, à Hoia, une modeste pente aux abords de Kolozsvár (Cluj). Il fallait y monter à pied, on glissait ensuite en plein délire pendant quelques minutes, puis on remontait à pied, traînant avec soi son lourd matériel pendant une demi-heure, et ainsi de suite. Le vrai sport n’était pas la descente, mais la montée.
L’excursion transylvanienne de ma famille pendant quelques années n’était pourtant qu’une conséquence temporaire de la guerre et surtout de la menace de la famine. Après notre retour à Budapest, j’ai fait la connaissance de la remontée mécanique tire-fesse de János-hegy. Comme le profit ne dirigeait pas encore tout et que la neige était un peu plus abondante, cette installation, disparue depuis, nous a servi fidèlement chaque hiver. Plus tard, nous avons élargi notre champs d’activité à Mátra: à Kékes, des autobus nous acheminaient au sommet après chaque descente. On faisait la queue pendant une demi-heure pour l’autobus mais nous étions heureux (et jeunes...).
Avec la libéralisation des soi-disant démocraties populaires, un rêve devint réalité pour les Hongrois: aller à l’étranger pour faire du ski. Comme les pays du „bloc socialiste” ou du „camp de la paix” avaient fermé pendant de longues années, les frontières même entre les „Etats-frères”, c’était un grand progrès d’aller en Tchécoslovaquie ou en Pologne pour les sports d’hiver une fois par an, plus tard même pour les week-ends. Ma génération de skieurs et de skieuses garde des souvenirs inoubliables des descentes magnifiques des pentes du Hopok en Slovakie ou de Zakopane en Pologne – et des attentes de deux à trois heures aux pieds des „lanovka” (remontées à cabine) dans les Tatra slovaques ou polonaises. Il fallait réserver ses billets de cabine avec plusieurs jours d’avance (heure, jour, numéro, comme pours les avions aujourd’hui) si l'on ne pouvait payer qu’en devise hongroise ou avec celle des autres pays „socialistes”, pendant que les touristes arrivés des pays de l’enfer capitaliste pouvaient les obtenir sur le champs pour leurs dollars „pourris”...
Je m’imaginais déjà skieur experimenté quand ma carrière de journaliste m’a conduit en France. C'est là qu'un skieur français nous confia son secret: c’est à Samoens qu’il faut aller pour les sports d’hiver si l'on ne veut pas dépenser trop d’argent mais passer du bon temps. Et c’était vrai: c'est là que l’on a découvert ce que skier signifie vraiment. Parce que j’ai oublié de mentionner qu’au temps de nos excursions fantastiques dans les pays voisins, nous avons tous ignoré qu’il était possible de traiter la neige non seulement sur les pistes de concours, mais aussi sur les pistes dédiées aux simples vacanciers. C’était probablement un secret d’Etat, et la découverte des descentes préparées par les dameuses nous sembla un miracle. Inutile de dire qu'en une semaine à Samoens, j’ai plus développé ma technique que durant les trente ans précédents. Nous avons passé quatre vacances d’hiver de suite dans cette station et nous avons aussi suivi le processus par lequel cette petite commune à la frontière suisse se modernisa, reliant ses pistes à celles des villages voisins, élargissant ainsi le domaine skiable. Nous avons aussi fait quelques excursions dans les grandes stations de ski, par exemple à Avoriaz, cette vraie ville des sports d’hiver construite en pleine montagne, où vous sortez de la maison directement sur la piste. Mais j’espère que cette histoire personnelle ne vous induira pas en erreur: je suis resté un skieur modeste, je préfère les pistes bleues et rouges, laissant les pistes noires à ma fille qui a appris à aimer ce sport à Samoens. Elle était avec nous dans le Skiparadies autrichien qui me rappela Avoriaz, à la différence près qu’à Zauchensee, ils ont construit un garage couvert à l'occasion d'un championnat du monde. Garage qui est à la disposition des touristes les jours sans concours – gratuitement. Un luxe encore rare mêmes dans les Alpes. Il est vrai que la société gérante, Skiamadé, récupère largement l’argent investi à travers le prix des rémontées mécaniques.
A ces pensées, j’ai commencé ma descente en décidant qu’après avoir vaincu les excellentes pistes bleues en établissant un record personnel de vitesse, je prendrai la piste rouge, plus exigeante mais plus intéressante aussi. Après un certain temps pourtant il me sembla que la descente était un peu plus forte que prévue et peu à peu la pente devenait encore plus menaçante. C’était une piste noire, un vrai „mur”, comme on dit. Un moment, j’ai paniqué, tout comme lorsque je regarde, ces jours-ci, les nouvelles sur l’économie mondiale. Mais rien à faire, il n’y avait d’autre issue que de descendre dans la profondeur béante et glissante qui s’ouvrait devant moi.
Vous connaissez déjà l’issue heureuse: votre chroniqueur est sorti sain et sauf de ce gouffre blanc. Bien sûr, ce genre d’expérience n’a rien à voir avec nos soucis quotidiens ni l’actualité mondiale. Les paradis de ski sont un peu hors du monde réel. Et pourtant...
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