Petite PiaPiaterie avec Viviane Chocas
Les Livres du JFB
Auteur d’un premier roman, Bazar Magyar,
et responsable du service Société au Figaro Madame
Les Livres du JFB
Depuis que j’avais lu en octobre le très délicieux, le très maîtrisé Bazar Magyar, j’attendais tranquillement son auteur. C’était comme une évidence. Un jour, elle nous arriverait de Paris afin de nous parler de ce livre que l’on goûte et que l’on dévore, qui file la métaphore des saveurs pour raconter une histoire très personnelle de rideau de fer.
Et puis, par un beau jour d’avril, elle était là, venue représenter officiellement la France au Salon européen du premier roman et rencontrer la presse pour la sortie de son Bazar en Magyar. Elle n’était pas revenue à Budapest depuis trois ans et semblait enchantée par ce joli retour en tant que romancière. On sentait bien que c’était important et certainement assez émouvant pour elle. Elle était là, face à moi, longue et déliée dans la force de la quarantaine épanouie. D’emblée je fus frappée par la qualité de son écoute et par la précision des questions qu’elle pose d’instinct et très vite. On la sent tout entière sensible aux histoires humaines et à la façon dont elles sont racontées. Ainsi, vous l’aurez deviné, je ne sais plus très bien dans cette affaire qui fut l’intervieweur de l’interviewée. Qu’importe d’ailleurs ! Viviane Chocas est un régal de femme, une rencontre ensoleillée d’un matin presque d’été.
Bazar Magyar comme une évidence.
«J’ai toujours su qu’un jour, j’écrirais un livre sur cette histoire familiale non racontée, sur le poids de ce secret. Si j’ai mis tant de temps à m’y mettre, c’est que je voulais à tout prix éviter de tomber dans la complainte et que je n’avais pas trouvé comment j’allais y arriver. Et puis un jour, j’ai pris conscience que l’unique cordon qui m’avait toujours reliée à la culture hongroise de mes parents, c’était la cuisine que faisait ma mère et que c’était par le ventre, par la nourriture que ça s’était joué… J’ai pris un congé sans solde et suis partie écrire chaque jour pendant quatre mois à la Maison des Sciences de l’Homme rue Raspail… Il n’y avait autour de moi que des chercheurs qui devaient certainement se demander ce que je faisais là devant mon ordinateur à marmonner, et à osciller parfois de façon étrange lorsque je cherchais la musique d’une phrase». Et en même temps qu’elle raconte, elle mime la scène de façon assez loufoque genre Zinzin au pays des Rats de Bibliothèque. Viviane Chocas a un visage mobile, constamment éclairé par un chouette regard sans fard. Elle parle aussi beaucoup avec les mains qu’elle aime à faire danser lorsqu’elle cherche la meilleure façon d’exprimer une idée.
“Écrire ce livre fut une jouissance absolue.“
«Avec mon travail de journaliste, je sais très bien ce que c’est que de “pisser de la copie“. Un sujet arrive le matin, et le soir il faut que ça soit écrit et souvent c’est coupé, remodelé, corrigé. Quand j’ai commencé à écrire Bazar Magyar, j’ai trouvé que c’était un luxe absolu d’avoir le temps de me poser des questions de style, de choisir de situer une virgule ou pas et de chercher le mot exact… Par exemple, à un moment je trouvais que j’avais tendance à faire un usage excessif des adjectifs et je n’arrêtais pas de me dire : moins d’adjectifs, il faut moins d’adjectifs. Et puis on fait également un usage du temps de rédaction tout à fait différent. Je pouvais passer une journée sur trois phrases. Rien n’est acquis…
J’ai beaucoup aimé travailler avec les éditions d’Héloïse d’Ormesson. Elle est très précise avec le texte et prend grand soin de l’harmonie de l’ensemble. Au final, il y a eu assez peu de corrections mais elles ont vraiment apporté quelque chose en plus…
Très peu d’amis proches savaient que j’étais entrain d’écrire ce livre. Quant à mes parents dont je redoutais la réaction, je ne leur ai apporté qu’une fois le livre édité. Je l’ai posé un jour sur la table presque en disant : Voilà ! Ils ont aimé presque à mon grand étonnement. Mon père m’a d’ailleurs beaucoup aidée pour le contrôle de la traduction en hongrois qui, semble-t-il, est excellente et dont je suis très contente.
Couscous versus rakott krumpli
J’ai toujours adoré manger même si j’ai toujours été comme un fil (La veinarde, c’est vrai, elle a une silhouette d’enfer ). Écrire ce livre me mettait souvent en appétit et me donnait parfois de véritables fringales... Pour mes deux enfants qui, a priori, ne sont pas plus curieux de découvrir Budapest que Madrid par exemple, je me suis rendue compte d’un détail amusant. Quand je cuisine du Rakott Krumpli, une ou deux fois par mois, je n’en fais pas pour quatre mais pour huit. Mon mari et mes enfants le dévorent comme des ogres... Oui, on peut dire que cette relation intime à la Hongrie continue à se perpétuer par le ventre à la génération suivante. C’est d’ailleurs dans notre famille l’objet d’une plaisanterie qui consiste à savoir ce que nous aimons le plus : mon rackott krumpli ou le couscous qui vient du côté de mon mari, d’origine juive séfarade.» (Effectivement, il y a là matière à débat!). Et à propos de judaïsme justement, Viviane Chocas m’a confirmé n’avoir réellement appris le sien qu’à 35 ans en lisant Le Perroquet de Budapest où son oncle, André Lorant, raconte l’histoire de sa famille maternelle.
Les salons littéraires apprennent l’humilité…
«J’ai beaucoup tourné un peu partout cette année dans les salons littéraires. C’était très intéressant parce qu’on y rencontre d’autres auteurs, des libraires et des lecteurs. Certains sont des enfants d’immigrés, comme moi, dont les parents sont venus de continents très variés. Quand ils viennent me voir et me disent que pour eux, ça a été un peu la même chose et qu’ils se sont retrouvés dans le livre, ça me fait plaisir. Je me dis alors que, peut-être, j’ai réussi à dépasser le cadre restreint d’une histoire strictement franco-hongroise… Par ailleurs, faire des salons, ça apprend vraiment l’humilité quand, notamment, on est placée à côté d’une star des médias qui vient d’écrire sa vie son œuvre. Les gens font des queues énormes devant vous, attrapent votre livre pour patienter d’un geste mécanique, le retournent pour regarder la quatrième de couverture d’un oeil vague et le reposent “vlan“ sur votre table afin d’avancer enfin, en direction de l’éminente personnalité.» Et voilà encore une petite séquence mimée assez cocasse Spéciale Viviane Chocas !
Mais que personne ne s’y trompe. Derrière l’apparente légèreté de ces propos cueillis à la volée, se cache une grande ténacité qui n’hésite pas à insister sur l’idée qu’en matière d’écriture, il faut avant tout travailler. Et pour mettre un lecteur en apesanteur comme je le fus avec Bazar Magyar, elle n’hésite pas à dire que «cent fois sur le clavier, il faut remettre son ouvrage». En tout cas, avec ce premier roman très affûté, nous voilà l’eau à la bouche et férocement en appétit pour toutes les histoires qu’il lui prendra fantaisie de continuer à nous conter.
Marie-Pia Garnier
NDLR : Merci à Christophe Thomet et à l’Institut Français de m’avoir aidée à faire cette interwiew ensoleillée.