PEST, MON PETIT PARADIS

PEST, MON PETIT PARADIS

LE BILLET D’HUMEUR

Pour un étranger comme le petit gars de Leeds* que j’ai rencontré dans un bar la semaine dernière, Pest, c’est le paradis. Rendez-vous compte la bière et les cigarettes sont données comparées à chez lui et pour la même paye, il a un appart grand comme le Ritz, des filles à la pelle et il peut fumer et boire à s’en faire péter toutes les artères.

Pour lui c’est sûr, il n’en revient pas et jure de n’en jamais revenir, d’ailleurs. À moins que…

Le même jour un peu plus tôt, j’avais assisté, devant La Petite Française, à un incident assez révélateur d’une autre réalité : une de ces antiques Lada puantes venait juste de rendre l’âme sous notre nez en une épaisse fumée. À peine le conducteur et ses acolytes l’avaient-ils tractée sur le côté et s’étaient mis en chasse d’eau pour tenter de la ranimer, qu’un de ces multiples vautours qui hantent le centre-ville avait surgi avec ses jolis petits autocollants colorés. Et à peine le vautour avait-il décoré de façon très tendance l’antique poubelle (en ce moment ces stickers font fureur), qu’un camion aux sabots d’or s’était pointé. Une diligence pareille, j’avais jamais vu ça en Hongrie. Il a alors suffi d’un petit tour de manivelle pour que le véhicule soit coquettement chaussé et ce en dépit de toute tentative pour expliquer qu’il était en panne. Mágikus !

Les gars partis en éclaireurs dans les hautes plaines du 7ème, revinrent avec un bidon d’eau, virent leur Lada joliment sabotée, se concertèrent en fumant par les oreilles comme dans les BD (enfin presque, c’est une licence métaphorique que je m’accorde) et… entreprirent d’attaquer carrément les sabots au cric. Deuxième surprise : en moins de dix minutes, la police est arrivée sans se presser. Alors là, dupla magikus… Quelle efficacité remarquable dans la protection du bien public en l’occurrence les sabots de la compagnie privée qui officie pour la municipalité ! Bien sûr, tout ça c’était très mal terminé et c’est menottés qu’ils sont repartis «avec leurs gueules de métèques de Roms errants, de pâtres grecs…»

Oui me direz-vous, mais quel rapport avec le petit gars de Leeds ? Et bien c’est simple : comme le petit gars de Leeds, moi aussi j’adore vivre à Pest, mais pour une vraie bonne raison … M’y voilà enfin libre citoyenne et n’y conduisant plus jamais.

Car ici, vivre heureux c’est vivre à pied, jouer à saute chaussées éventrées et à enjambe corps allongés dans les passages souterrains. Fini les embouteillages à répétition, le gavage des horodateurs avec des pièces qui ne veulent jamais rentrer et qu’il faut cogner violemment pour que les machines daignent les accepter...

Terminé l’engraissage des propriétaires de parkings privés - ou plutôt devrais-je écrire de terrains vagues privés - qui un peu partout abattent des immeubles aux airs extraordinaires pour ranger des voitures. Finito la tolérance zéro : boire ou marcher, pas besoin de choisir.

Et vive l’exquise volupté, le rêve éveillé de se promener des heures durant dans son quartier, d’y voir vivre les gens et surtout d’y vivre comme eux…simplement. Boire un café sur le pas de sa porte, regarder tranquillement les habitants de son immeuble vaquer, faire enfin corps avec une de ces petites villes dans la ville que sont souvent les splendides immeubles patriciens de Pest.

Que répondre alors à ce tout petit gars de Leeds qui vient de débarquer avec tous ses clichés à peine niveau Lonely Planet ? (Ils ont décidément raison les Pestois de ne pas souhaiter communiquer avec les touristes et les bleus. )

- «Tu as raison mon gars. Tu es le roi du bitume sens dessus dessous de cette ville. Mais tu sais ici, sans voiture, on n’est rien. Je serais toi, j’en achèterais une dès demain avec les gigantesques économies que tu fais sur la bière, les filles et le loyer. Crois-moi, elles vont encore plus adorer et avec ce que tu descends et ton physique de beau brun basané, je sens que tout peut arriver…»

Et un Anglais de perdu, dix de retrouvés… Ou pas.

Et Na !

Marie-Pia Garnier

 

*Leeds, riante ancienne cité minière du Yorkshire au Nord de l’Angleterre bien connue des amateurs de polars grâce au terrifiant Quatuor du Yorkshire de David Peace.

On y joue beaucoup au foot également et c’est aujourd’hui la capitale anglaise des centres d’appel… No comment.

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