Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants
Rencontre avec Mathias Enard, Lauréat du Prix Goncourt des Lycéens
Entouré de lycéens et d’autres lecteurs curieux Mathias Enard a parlé à l’Institut Français de Budapest de son roman dédié à Michel-Ange et au voyage de celui-ci à Istanbul pour construire un pont à la Corne d’Or. Ce récit s’empare d’un fait authentique pour déployer les mystères du voyage.
Nous avons rencontré l’écrivain après la présentation de son livre.
JFB : Construire un pont à la corne d’Or signifie un lien plus fort entre l’Est et l’Ouest et entre plusieurs cultures – un pont hautement symbolique donc. Le pont de Michel-Ange a-t-il réellement existé ou bien est-ce une pure fiction ?
Mathias Enard : J’ai vu cette petite anecdote dans une biographie de Michel-Ange et je voulais savoir en plus sur son voyage improbable dont on ignore tout. Michel-Ange ne s’est sans doute jamais rendu à Istanbul. Mais on sait que le projet de construire un pont était bien réel à l’époque du Sultan Bayazid le second. Le sultan a proposé le projet à deux grands artistes : d’abord à Leonard de Vinci – son dessin figure entre ses œuvres au Musée de la Science à Milan – ensuite à Michel-Ange – mais aucun des deux n’a été réalisé. Il faut attendre le milieu du 19ème siècle pour qu’il y ait un pont à cet endroit à Constantinople.
JFB : Être à la croisée de plusieurs cultures est un sujet passionnant. Comment avez-vous reconstitué cette ambiance ?
M. E. : L’ambiance d’Istanbul à l’époque est fascinante. Cette partie de l’empire ottoman était marquée par la mixité. D’abord la ville a été grecque, puis prise par les Turcs. Et puis tous les migrants qui sont venus d’ailleurs, de l’autre côté de la Méditerranée, les musulmans chassés d’Andalousie, les Juifs que Bayazid rapatrie depuis les côtes espagnoles jusqu’à Istanbul. Et les gens des Balkans qui viennent d’être conquis par les Ottomans, et ceux du monde Arabe.
JFB : Pensez-vous qu’il y ait eu un certain esprit de tolérance dans cet Empire Ottoman?
M. E. : Oui. Il s’agit d’une certaine forme de tolérance qui était surtout un respect lié aux différentes religions. Les Ottomans avaient imposé peu de choses. Selon les règlements urbains les gens pouvaient s’installer partout où ils voulaient, sauf que ni un chrétien ni un juif ne pouvait habiter à proximité immédiate d’une mosquée. Les Ottomans étaient même cléments en matière fiscale pour les non-musulmans. C’était aussi dans leur intérêt et ils en étaient conscients. Mais cette tolérance avait aussi ses limites, puisque c’est le nationalisme turc naissant qui massacrera ensuite certaines minorités de l’Empire.
JFB : Il s’agit d’un récit mystérieux avec un triangle surprenant et des passages très poétiques…
M. E. : Il y a trois personnages dans mon récit : Michel-Ange lui-même, un poète ottoman et une danseuse d’Andalousie. C’est un jeu à trois voix, un triangle. Effectivement une des parties du récit se rapproche plutôt du conte, puis vous verrez une certaine poésie plus lyrique qui est liée à l’Andalousie, à la beauté des choses disparues.
Éva VÁMOS