Paris-Budapest : les charmes révolus de l´Orient Express

Paris-Budapest : les charmes révolus de l´Orient Express

Paris-Budapest : les charmes révolus de l´Orient Express

Pour qui envisagerait de relier Paris et Budapest en train, il ne trouvera aucune liaison directe. Celle-ci, avec la suppression de l´Orient Express en 2001, n´étant plus assurée. Il aura le choix entre une correspondance à Munich (durée totale : 15 heures) ou à Zurich (durée totale : 12 heures) (1). A y ajouter les temps d´attente, pour peu que les horaires des correspondances coïncident. Plus rapide, certes, que l´ancien Orient Express qui prenait 24 heures, mais était tout-de-même bien pratique.

Quand je parle d´Orient Express, celui-ci n´avait rien à voir avec les variantes de luxe que nous lui connaissons aujourd´hui. Il s´agissait de la ligne régulière officielle qui partait chaque soir pour relier Paris et Budapest, avec une prolongation sur Bucarest deux fois par semaine.

C´est en juillet 1966 que je montais pour la première fois dans l´Orient Express. A ma grande surprise, le train était bondé. Tout simplement parce que, dix ans après le soulèvement de 56, une amnistie - partielle - avait été décrétée. Beaucoup de Hongrois réfugiés ou fils de réfugiés se précipitèrent donc pour revoir pays et famille. (Une amnistie malgré tout encore très limitée). C’est ainsi que, dès la gare de l’Est, j’eus le plaisir d’être briefé par une bien charmante voyageuse qui m´initia aux secrets de la langue hongroise. Par la suite, je fus amené à le prendre à plusieurs reprises.

Un trajet long et peu confortable (pas de couchette au départ de Budapest). De plus, interrompu par une halte interminable en rase campagne à la frontière hongroise, provoquant fréquemment des retards. C´est d´ailleurs la raison pour laquelle il fut décidé de le supprimer. Offrant malgré tout à l´époque des tarifs abordables, face à la liaison aérienne, au demeurant peu fréquente, qui coûtait alors une fortune. Depuis, la situation s´est inversée. 

C´est à l´initiative d´un ingénieur belge, Georges Nagelmackers, séduit par les wagons-lits de George Pullman qu il venait découvrir aux États Unis, que naquit l´idée. En association avec un partenaire anglais, il fonde en 1876 la „Compagnie internationale des wagons-lits” qui devient en 1884 la « Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens ». Avec un premier aller-retour Paris-Vienne dans un train de luxe baptisé « Train Éclair”. Train dont le succès l´amena à prolonger la ligne jusqu´à Constantinople.

C´est le 5 juin 1883 que partit le premier „Express d´Orient” en gare de Strasbourg (gare de l´Est) à destination de Constantinople.  Selon certaines sources, les passagers étaient tous des hommes, à qui il avait été recommandé de porter par précaution une arme à feu !  L'inauguration officielle eut lieu le 4 octobre. Le prix des places, 700 franc-or, représentait la moitié du salaire annuel d'un ouvrier qualifié (2). Comme on voit, le voyage s´avérait non seulement coûteux, mais aventureux, d´autant que la liaison n´était pas directe, un bac, une diligence, puis un vapeur prenant par endroits le relais. En 1885, le service devient quotidien entre Paris et Vienne. Ce n´est qu´en juin 1889 que la liaison sera intégralement assurée. (2)

Après une interruption partielle, puis totale lors du premier conflit mondial, le train allait connaître son âge d´or entre les deux guerres (3). Avec notamment la création en 1922 de nouveaux wagons de luxe, wagons métalliques remplaçant les vieux wagons de teck. Wagons de couleur bleu-nuit nettement plus confortables, décorés en style Art Déco par des artistes de renom, tels Albert Dunn et René Prou pour la marqueterie ou René Lalique pour la verrerie. Moyennant toutefois un trajet sensiblement modifié pour éviter entre autres la traversée de l’Allemagne. Une période qui fait encore rêver aujourd´hui par les aventures qui sont censées s´y être déroulées, authentiques ou légendaires.

(Outre les aventures amoureuses ou prétendus faits d´espionnage, nous ne résistons pas au plaisir de citer quelques incidents qui émaillèrent la traversée : immobilisation à la frontière yougoslave, faute de combustible. Excédés par l´attente, les voyageurs ne finissent pas se cotiser (1919). Viaduc dynamité par des terroristes et chute des wagons (Hongrie, 1931). Ou encore, train bloqué par la neige en Thrace orientale : affamés, les voyageurs finissent par échanger auprès de paysans des environs œufs et provisions contre leurs bijoux ! (1929 (4)). Comme l´on voit, on ne s´ennuyait pas à bord.)

Puis, au lendemain de la seconde guerre, le train allait lentement connaître son déclin, notamment en raison des obstacles posés par la traversée des pays à régime communiste. Pour se voir donc définitivement supprimé en 1977 pour la destination Athènes-Istanbul et 2001 pour la destination Budapest-Bucarest. Remplacé par des variantes touristiques diverses, tentantes, certes, mais qui n’ont plus rien à voir avec „l´original”.

Il a bien été question un moment de rétablir une ligne directe à haute vitesse (TGV/ICE), mais le projet semble avoir été définitivement abandonné. Dommage. Imaginez, Paris-Budapest en moins de sept heures, et de gare à gare. Un rêve que je ne verrai probablement jamais se réaliser. Et pourtant, pas si déraisonnable, des tronçons existant déjà. Et puis, un avantage par rapport à l´avion : une transition moins brutale et la traversée de merveilleux paysages.

En guise de consolation je me prends par moments à rêver et à revivre ce „bon vieux temps”. Car, s´il était crasseux et lent comme une charrette, il ne manquait pas de charme, notre cher Orient Express. L´occasion de croiser des compagnons de route de toutes sortes, souvent hauts en couleur. Et puis, quand on passe 24 heures dans le même compartiment, cela créée, qu´on le veuille ou non, des liens. Pour ma part, j’y aurai beaucoup appris.

Un trajet interminable, certes, mais je peux vous garantir que l´on ne s´y ennuyait pas.

Paix à son âme...

 (1): aucune liaison directe n´étant plus assurée non plus entre Vienne et Paris, un changement étant imposé à Francfort. (soit 12 heures pour Paris-Vienne + 2h30 Vienne-Budapest), sinon par train de nuit.

(2): Wikipédia

(3): c’est l´un de ses wagons-restaurants, réquisitionné par Foch, qui servit à la signature de l´armistice à Rethondes

(4): épisode cité en toile de fond par Agatha Christie dans Le Crime de l´Orient express.

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