Páripest

Páripest

La chronique de Dénes Baracs

Échos de la francophonie


Pour moi, l’histoire de ce mot, Páripest, commence par une petite annonce que mon père de 97 ans (mais oui!) a récemment passée dans un journal, en quête de nouveaux partenaires de bridge. Ce jeu de cartes conserve la jeunesse et l’un de ceux qui ont appelé le numéro indiqué était un autre éternel jeune homme de 90 ans féru de bridge: M. István (Étienne) Raskó. Ensemble ils ont formé un couple formidable de 187 ans et ont obtenu une place honorable à un concours de bridge.

M. Raskó vit à présent à Budapest, mais il a passé la majeure partie de sa vie rocambolesque à l’étranger, notamment en Belgique et en France. Il fut tour à tour étudiant, prisonnier, ingénieur, homme d’affaires (et toujours grand séducteur) et il est encore plein d’énergie et de plans ambitieux.

Bien qu'amateur de bridge, la vie de M. Raskó m’a plutôt évoqué le poker, car en Europe au siècle dernier, c’est souvent l’histoire qui jouait avec vous car votre vie pouvait uniquement dépendre de la mise. M. Raskó est par exemple persuadé que Trianon - ce traité de paix signé en 1920 au Grand Trianon et par lequel la „Grande Hongrie” d’antan a perdu deux tiers de son territoire après la défaite de la Monarchie austro-hongroise - lui a sauvé la vie. Indirectement.

Quoiqu’il ait dû faire ses études d’ingénieur chimiste en Belgique à cause des lois antisémites en vigueur en Hongrie, en „bon patriote hongrois” il était très heureux au moment du soi-disant arbitrage de Vienne de 1938, par lequel le Nord de la Transylvanie et certains territoires appartenant à la Tchécoslovaquie ont été restitués à la Hongrie (au prix d’un ralliement fatal à l’empire hitlérien). Tellement heureux qu’il a écrit une longue lettre à un journal hongrois en saluant ce tournant - geste qui lui a causé beaucoup de déboires de la part des autorités belges. Deux ans plus tard, Hitler faisait son entrée en Belgique. La situation du jeune Raskó devint alors délicate: dans son passeport hongrois sa religion juive était mentionnée et il pouvait être déporté à n’importe quel moment par les Allemands.

Au poker il faut savoir risquer. M. Raskó a pris sous le bras son article saluant l’arbitrage de Vienne pour prouver ses sentiments patriotiques et s’est présenté au consulat hongrois, en expliquant au fonctionnaire qui le recevait qu’il aurait besoin d’un autre document... qui n’indiquait pas sa religion. Il eut de la chance : le consul lui fournit une légitimation qui lui sauva la vie.

Trois ans plus tard, M. Raskó fut malgré tout arrêté avec sa tendre du moment, une jolie Belge résistante antifasciste et il passa les dernières années de la guerre dans des camps et prisons allemands, mais pas parce qu’il était juif puisque son origine resta cachée jusqu’au bout.

La guerre finie, il retourna dans son pays natal où il apprit la mort de sa sœur dans un camp de concentration. La vie continua et il commença sa carrière d’ingénieur dans l’industrie pétrolière. Il se maria et, après l’écrasement de la révolution de 1956, il choisit – comme on disait alors – la liberté, en quittant le pays avec sa famille. Il travailla tout d’abord pour BP. Puis, en tant qu'agent commercial, il utilisa ses connaissances des milieux industriels hongrois. En partant de rien, il devint, petit à petit, un représentant influent de l’industrie française en Hongrie, et il se vante désormais d’avoir contribué à introduire en Hongrie de nombreuses firmes françaises comme Rhône Poulenc, Atochem, Bouygues et VINCI. Dans les années 90 il se réinstalla en Hongrie et travailla encore sur de nouveaux projets.

Il tente aujourd’hui justement de proposer un dernier projet aux milieux industriels, politiques et économiques hongrois et français. Dans la proximité du nouveau pont sur le Danube, construit en collaboration avec une grande firme française, une compagnie d’investissements immobiliers envisage un aménagement urbain, avec une coopération franco-hongroise. Pour M. Raskó, le nom idéal de ce quartier devrait être Paris-Pest, Páripest dans sa version hongroise. Ce quartier pourrait être éventuellement jumelé avec Neuilly, dont le maire autrefois fut M. Nicolas Sarkozy.

M. Raskó a déjà présenté personnellement son idée à M. Gábor Demszky, maire de Budapest, et a également écrit au président français. Il espère qu’au moment de l’inauguration du nouveau pont, M. Sarkozy ou son représentant pose aussi la première pierre du bâtiment central du futur Páripest.

Il pense que ce nom et ce geste pourraient contribuer aussi à atténuer le complexe Trianon du côté hongrois en promouvant l’amitié entre la France, la Hongrie, et tous les voisins de la Hongrie qui appartenaient autrefois à des camps antagonistes, mais aujourd’hui unis dans la même Europe.

Páripest, quel pari !

Catégorie