Orgueil et préjugés
Fin de la fondation Emmi Pikler
Le gouvernement dissout l’atelier connu au niveau international pour sa méthode alternative de soin auprès des jeunes enfants.
"Je ne savais pas où la Hongrie se trouvait avant d'entendre le nom d’Emmi Piker" - écrit, dans une lettre adressée au premier ministre Viktor Orbán, un expert américain. Il est l'un des nombreux anciens étudiants de l'Institut Pikler à avoir protesté contre la fermeture de la fondation Pikler. Il y a quelques mois, l’eurodéputé belge Frédéric Daerden a également sollicité le maintien de ce centre de formation, qui est aussi une pouponnière, une crèche et un lieu de rencontre entre parents et enfants connu pour son approche novatrice du développement de l’enfant.
Le gouvernement hongrois a décidé en décembre dernier de la fermeture de la fondation Emmi Pikler, ainsi que d'environ 30 autres organisations possédées par l'État. Celui-ci a justifié sa décision par des raisons budgétaires. Les nouvelles dispositions prises depuis délèguent toutes les tâches exercées par le centre à l’Institut National de Politique de Famille et des Affaires Sociales (NCSSZI), qui appartient au ministère des ressources humaines, et qui récupère par la même occasion les deux immeubles de grande valeurs de la rue Lóczy à Rózsadomb. Le NCSSZI a déjà fermé la pouponnière. Selon les informations de la fondation, il souhaite également supprimer les recherches et les formations qui attirent environ 2000 experts étrangers de soins à l'enfance chaque année. Le NCSSZI a lancé un concours exclusivement réservé au fonctionnement de la crêche, dans lequel ne figure aucune organisation liée à la méthode Pikler.
La pédiatre Emmi Pikler a élaboré sa philosophie de soin de l’enfant dans des années 30. Elle l’a appliquée avec grand succès dans les crèches créées après la 2e Guerre mondiale pour la masse d’orphelins hongrois. Cette théorie consiste à laisser libre cours aux envies et aux intérêts des bébés sous le regard attentif des parents ou des éducatrices qui observent, accompagnent et stimulent le développement de l’enfant dans un rythme qui lui est propre. Les maîtres mots de cette approche sont en effet “l’indépendance“ et “l’autonomie“ de l’enfant, qu’il faut chercher à encourager plutôt que d’intervenir dans son apprentissage. Une étude de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) menée dans les années 1970 a montré que les enfants élevés à l’institut Pikler avaient des résultats scolaires aussi bons que leurs compagnons venus de familles normales, contrairement à la majorité des enfants élevés dans les orphelinats traditionnels. Actuellement, c'est Anna Tardos, fille aînée d’Emmi Pikler, qui est directrice de l’institut Pikler, plus communément appelé "Lóczy", du nom de la rue où il est installé à Buda.
L’approche pédagogique initiée par Emmi Pikler a fait son chemin et est devenue très populaire, notamment en France (les premières formations ont été organisées dans les années 70), en Autriche, en Allemagne ou en Suisse et dans de nombreux autres pays à travers le monde où ont été créées des associations Pikler (l’Association Pikler Lóczy de France fonctionne depuis 1984). Plusieurs livres et films documentaires étrangers sont consacrés à cette approche novatrice. En 2007, une place a même été nommée place Pikler dans le XXe arrondissement de Paris.
Toutefois, la méthode alternative partage les experts hongrois. Ses idées sont encore aujourd'hui difficiles à accepter pour certains pédiatres, aux théories plus interventionnistes, qui considèrent parfois comme un retard une évolution plus lente de certains bébés ou jeunes enfants, et qui incitent parfois les parents à «pousser» ces derniers à franchir plus vite les différentes étapes de leur évolution. Ils critiquent également Pikler à cause de son ancrage politique. En effet, selon les dirigeants actuels de l’institut, la volonté du gouvernement de fermer ce centre de renommée mondiale peut s'expliquer, entre autres, par le passé communiste du Pikler.
Judit Zeisler
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