Orchestre du Festival de Budapest (BFZ), saison 2017-18: la parole est aux musiciens
Si la réputation de l’Orchestre du Festival de Budapest n’est plus à faire, l’un des secrets de son succès réside, outre la qualité intrinsèque de ses musiciens, dans cette franche convivialité empreinte de simplicité et de spontanéité que son chef Iván Fischer a su imprimer entre ses membres.
C’est dans cet esprit que fut présentée à la presse la saison 2017-2018 de l’orchestre. Cette fois-ci non par Iván Fischer, mais sous la forme inédite d’une conversation à bâtons rompus entre invités et membres de la formation. Le tout animé par la directrice adjointe de l’orchestre, Orsolya Erdődy, dans un cadre s’y prêtant idéalement par son intimité: la salle des répétitions. Disposés en cercle, les musiciens - un clarinettiste, un contrebassiste, une harpiste et deux violonistes - nous firent part de leurs impressions, temps forts ou au contraire difficultés auxquelles ils se voient confrontés dans leur quotidien.
Pour commencer fut évoquée la production de Don Giovanni inscrite au programme de la rentrée après avoir été rodée cet été avec succès sur les scènes de New York et d’Edinburgh. Avec succès? Bien plus que cela, à en juger par l’écho qu’en fit la presse américaine, le New York Times en tête, qualifiant la production de „brillante, merveilleuse et rafraichissante”, louant particulièrement une mise en scène „enfin plus captivante, créative et audacieuse que la plupart des mises en scène vues jusqu’ici”. De quoi faire rougir notre ami Fischer! Une représentation qui sera donnée à Budapest en salle de concert (au Palais des Arts, Müpa), dans une mise scène conçue, donc, par Iván Fischer, dont on a déjà pu apprécier les qualités en la matière (1). Mise en scène, mais aussi décors, décors „humains” (statues vivantes) formés par des élèves de l’école d’Art dramatique. Une production particulièrement exigeante pour les musiciens, notamment lorsque certains d’entre eux sont appelés à quitter la fosse pour monter se produire en petite formation sur la scène, isolés et sans partition, petit exercice de gymnastique pour le moins acrobatique et périlleux.
Entre les deux productions et les deux saisons, une trêve d’été qui aura été bien courte avec, dès le 3 septembre, le concert de clôture du Festival Dunafest, série de manifestations axées autour du Danube.
Puisque nous avons évoqué Don Juan, à noter en mars prochain une première pour l’orchestre avec la représentation d’un opéra de Verdi, Falstaff, mis en scène par Fischer. Ceci pour sortir du sentier battu des opéras de Mozart. Également une première: parmi les chefs invités, une femme, l’Américaine Marin Alsop (dans un programme Sibelius-Chostakhovitch). Autre chef invité, outre les habitués, tel Jordi Savall, les musiciens soulignent la venue du Russe Dimitri Kitaïenko qu’ils semblent particulièrement apprécier, voire affectionner, tant au plan professionnel que par sa simplicité et ses qualités humaines. Qui viendra pour diriger deux concerts de musique russe (Chostakhovitch, Rachmaninov, Tchaïkovski – nov. 2017). Également appréciés des membres de l’orchestre, le chef polonais Marek Janowski et le Finlandais Jukka-Pekka Saraste ou encore le compositeur allemand Jörg Widmann. Quant aux solistes invités, tels Emanuel Ax, Piotr Anderszewski, les violonistes Aline Pogostkina et Arabella Steinbacher ou la soprano ukrainienne Olena Tokar, les membres de l’orchestre semblent éprouver une affection particulière pour le pianiste Radu Lupu (qu’une violoniste de l’orchestre a eu la chance de côtoyer de près lorsqu’il était encore à ses débuts).
Parmi les temps forts de la saison, les musiciens ont tenu à évoquer la 2ème symphonie de Mahler, précisément écrite lors du séjour que le compositeur effectua à Budapest. (Mahler: apparemment, avec Brahms, l’un des favoris de Fischer et de sa formation).
Mais au-delà du programme proprement dit et d’un bref rappel des nombreuses activités de l’orchestre déjà bien connues de son public (concerts pour les jeunes, les familles, les enfants autistes ou enfants de milieux défavorisés, dans les lieux de cultes et autres initiatives: marathon, - cette année consacré à Leonard Bernstein - pays invité qui sera cette année l’Espagne), le plus intéressant était de recueillir les confidences et témoignages des musiciens présents.
Tout d’abord interrogés sur l’incidence des nombreuses tournées à l’étranger (cette saison dans plus de douze pays et une vingtaine de villes...) sur leur vie familiale. Réactions diverses selon les cas, tel ce chanceux qui a pu emmener avec lui ses fils visiter New York, mais supposant dans la plupart des cas un réel sacrifice. D’autant que, contrairement à une idée reçue, le rythme des concerts ne leur permet pas de faire un peu de tourisme, chaque journée étant dans la plupart du temps prise par un voyage pour un concert dès le lendemain. Un atout, par contre: une co-habitation et des moments de détente qui ressoudent les liens tant entre les musiciens qu’avec leur chef. Et les vacances dans tout cela? Pour le coup, la réaction fut quasi unanime: certes, mais… pas trop, s’il vous plaît! Tous affichant une certaine réticence, pour ne pas dire un sacrifice, à se voir séparés de leur instrument, du moins d’une pratique en commun.
Sur un plan plus „technique”: la création d’un ensemble baroque au sein de l’orchestre ou, au contraire, l’ouverture vers des œuvres de musique contemporaine. Dans le premier cas, l’habitude a été prise, suggérée par une violoniste de l’orchestre et reprise par Fischer, de jouer dans un même concert en alternance sur des instruments modernes et instruments d’époque. Exercice a priori délicat, voire périlleux, la façon d’aborder instruments et partition différant radicalement. Et pourtant, apparemment, non! Comparant les qualités d’adaptation ainsi exigées au comportement d’un conducteur qui serait amené à changer constamment de voiture, la violoniste - à l’origine de l’idée - n’y voit pas une difficulté insurmontable. (C’est là où l’on reconnaîtra et appréciera le professionnalisme de ces musiciens). Quant à la musique contemporaine, la harpiste (probablement gâtée par le répertoire...) déclare s’y trouver à l’aise, y trouvant, par rapport au répertoire classique, une expression plus franche reflétant plus directement la pensée du compositeur. Sans compter l’avantage de se démarquer ainsi de la routine, partant d’améliorer son jeu.
Durant l’heure et demie que dura l’échange, mille autres points furent abordés que nous ne pouvons citer ici. Une chose est sûre, cependant: tout cela ne fait que nous confirmer dans l’idée que nous disposons là d’une formation dont le principal souci est de se départir de la routine et de se renouveler constamment. Sans parler de cette passion, de ce plein engagement des musiciens pour leur ensemble et aussi des liens qui les soudent. Ici réside le secret de leur succès, le mérite en revenant en premier lieu à Iván Fischer qui a su leur insuffler cet esprit.
Pour notre plus pur plaisir....
Pierre Waline
NB: Pour les Parisiens, une date à noter: le 17 octobre à la Philharmonie avec un concert Bach (3ème suite), Mozart (20ème concerto, Emanuel Ax), Tchaïkowski (4ème symphonie). Et le 8 décembre à Grenoble.
(1): cf. Les Noces de Figaro (février 2013) et la Flûte enchantée (mars 2015), dont nous avons rendu compte dans ces colonnes.
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