Nietzsche, ce Bon Européen
Guillaume Métayer(1), chercheur au CNRS, écrivain et poète, était présent à l’institut français de Budapest ce Mercredi 24 Avril dans le cadre d’une conférence portant sur Nietzsche et son concept du « bon Européen » (Der gute Europäer). Un thème qui sillonne la France, la Hongrie, et qui puise sa pertinence dans l’actualité brûlante alors que les élections Européennes approchent et que l’idée d’une réelle identité continentale demeure bien fragile.
Si Friedrich Nietzsche (1844-1900), philosophe, poète et compositeur Allemand, n’a jamais été le plus ardent défenseur de la démocratie, ni un précurseur en matière de droits de l’homme, il croyait fermement en la grandeur d’une civilisation européenne. Itinérant, de nations en nations, pour assouvir sa faim de connaissance, il percevait l’échange culturel comme l’essence de tout concept d’européanisme. C’est dans sa jeunesse que l’on retrouve les prémices de la pensée Nietzschéenne sur l’Européen. En effet, Nietzsche s’est longtemps fantasmé Hongrois, prenant notamment le pseudonyme « Szégéni Imre ». Cette fascination romantique, peu explorée par les chercheurs, s’est révélée dans ses lectures, notamment celles de Sándor Petőfi, qu’il a d’ailleurs mit en musique, de Nikolaus Lenau, ou encore de Karl Isidore Beck. Les archives de Nietzsche sont aujourd’hui entreposées dans la bibliothèque Anna Amalia de Weimar, en Allemagne. La Hongrie a ainsi grandement contribué à la réflexion européenne de Nietzsche, lui offrant une matière de réflexion qu’il ne retrouvait pas dans son Allemagne.
Nietzsche face à son temps
La mobilité, le gout de voyage, Nietzsche les partage avec l’une de ses principales sources d’inspiration : le français Voltaire. Ce n’est qu’en 1878 qu’il devient Voltairien, s’affranchissant alors du rigorisme et du nationalisme germanique dont Richard Wagner était le plus fervent serviteur. Il reconsidère lui, les autres, l’identité, et se redécouvre alors. Dans une Europe affligée par la terrible Guerre Franco-Prussienne, il décide de se placer au-dessus de sa nation pour penser l’Europe. La France, vaincue, déplore une défaite culturelle et se met en quête de rattraper ce retard sur l’ennemi. Pour Nietzsche, c’est une conclusion absurde : une guerre se perd sur des faits et des détails techniques ou matériels, mais il n’est pas de défaite culturelle. Il parvient à s’extraire de cette époque baignée dans la construction de puissantes identités nationales et décide de s’affranchir de tout déterminisme pour ne plus être qu’un Allemand. La lecture d’intellectuels français tels que Renan, Bourget, et surtout Voltaire y contribue grandement. Se franciser, embrasser la culture de l’ennemi historique devient le moyen le plus efficace de se dégermaniser.
L’héritage de Voltaire
Nietzsche et Voltaire avaient beaucoup en commun, notamment l’amour du rire et l’écœurement du leibnizisme. En cela, cette réunion semblait des plus évidentes. Alors que Voltaire était considéré hors frontière comme l’ultime illustration de l’esprit français et comme le fier représentant d’une tradition intellectuelle enfin accomplie, Nietzsche désirait devenir le premier héritier de ce dernier héritier. Il lui a d’ailleurs dédié l’ouvrage Humain Trop Humain, à l’occasion des 100 ans de sa mort. Tous deux croyaient en ce concept de l’Européen, celui qui accepte de subir une tension permanente vis-à-vis de soi et de son identité nationale. Celle-ci n’a rien d’un masochisme de nationalité, elle est plutôt le résultat de la recherche d’un prolongement de soi. Pour se dépasser il faut se mélanger, ce mélange n’est pas une fin en soi, mais un moyen en vue d’une fin : l’accomplissement. Nietzsche, comme Voltaire, ont aimé l’Europe, plusieurs siècles auparavant, bien conscients de ses immenses potentialités.
Hugo Cellarier
(1) : Guillaume Métayer est l’auteur de Nietzsche et Voltaire (Flammarion, 2011), et traducteur de la première édition des Poésies complètes de Nietzsche (Belles Lettres, 2019) ainsi que de littérature hongroise (notamment de Sándor Petőfi et d’Attila József)
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