Névralgie urbaine

Névralgie urbaine

Tandis que la capitale et le Vème arrondissement se disputent à propos de la réalisation du programme nommé «Le Cœur de Budapest», les ONG, les petits entrepreneurs et les investisseurs privés réunis en une coalition temporaire se sont mis en action en plusieurs points du centre-ville.

Les sceptiques qui ne donnaient aucun crédit au roman de novembre dernier réunissant le maire de Budapest, Gábor Demszky, et le maire du Vème arrondissement, Antal Rogán, peuvent se réjouir aujourd’hui. Car, en moins de six mois, l’arrondissement, commandé par le Fidesz, et la capitale, dominée par les libéraux, se sont querellés, malgré «l’interdépendance mutuelle» et «les relations de partenariat». Et tout ceci à cause du programme «Le Cœur de Budapest», conçu par la capitale en 2005 pour remédier aux problèmes aigus de circulation dans le centre-ville et viser ainsi à la revitalisation des quartiers intérieurs, qui, à moyen terme, prévoit l’impossibilité de circuler dans tout le périmètre s’étendant à l’intérieur du Petit Boulevard. Selon l’un des responsables de la mairie du centre-ville, l’équipe de Demszky a finalement refusé toute subvention au projet, le Vème arrondissement est donc contraint d’entamer seul sa réalisation grâce à ses seuls fonds de prévoyance (1,6 milliard de forints qu’il avait déjà mis de côté).

Cependant, le cabinet du maire de Budapest cherche le moyen de réunir 300 millions de forints par l’Assemblée municipale pour les travaux de préparation. Mais cette somme est loin d’être suffisante, même si Budapest bénéficiera peut-être de ressources communautaires pour ce projet. Or, c’est l’argument principal des ayant droit de la capitale. «Le Cœur de Budapest est et sera toujours un projet d’un statut privilégié au sein du Programme Opérationnel de la Région du Centre de la Hongrie, c’est aussi pour cela qu’il se base sur des éléments pouvant bénéficier de subventions», précisait Éva Beleznay, architecte principale déléguée à la ville de Budapest. En même temps, selon certaines sources, les aspects qui pourront figurer dans ce programme restent incertains. Les frais du projet de développement sont estimés à 40 voire 50 milliards de forints, dont 6 millions devraient être assurés - avec un paiement échelonné sur 6 ans au moins - par les fonds propres de la capitale, ce qui semble, vu les circonstances, peu réaliste. De plus, le budget annuel de la capitale a été voté par les députés municipaux sous réserve de ne contracter aucun crédit. Les délégués de l’Assemblée municipale, qui appartiennent à l’opposition, se cassent donc la tête pour trouver quelques restes des économies faites l’année dernière et qu’ils pourraient verser dans le projet.

Quartier en développement

Toutes ces tergiversations menacent de retarder encore les travaux de réalisation, ce qui ne manque pas de nous rappeler des événements récents. Dans les années 90’, Pál Baross, président de la section hongroise de l’association des spécialistes anglais de l’immobilier (Royale Institution of Chartered Surveyors – RICS), avait participé, en qualité de consultant, au programme pour la renaissance de Budapest qui considérait également le centre-ville comme un territoire privilégié à développer. «Finalement, il n’y a pas eu de prise de position unanime et acceptable, alors que dans n’importe quelle autre métropole, la question aurait été depuis longtemps résolue». C’est ainsi que Baross se rappelle les événements d’autrefois, en y ajoutant que même la récente reconstruction de la partie sud de la rue Váci a été précédée d’un long débat. Péter Gauder, président de l’association Urbanissimus, qui s’intéresse beaucoup aux questions de développement de la capitale, pense que les derniers 10-15 ans ont beaucoup nui au centre-ville. Il a perdu presque tout son attrait commercial, ce qui veut dire que les promoteurs ne cherchent plus vraiment à investir dans ces quartiers. La lente érosion n’a épargné que les petits magasins qui bénéficient de la confiance de leur clientèle de proximité qui, eux aussi, après un certain temps, ont certainement cessé de se réjouir de vivre à La Mecque des réparateurs de fermetures à glissière.

Le mécontentement des habitants du quartier ne suffit cependant pas à accélérer la réalisation du programme «Le Cœur de Budapest», ni à appeler les représentants des quartiers intérieurs, politiquement partagés, à réunir leurs forces. Pendant que le Vème arrondissement entame bientôt la reconstruction de la rue Kecskeméti (parallèlement aux travaux de construction de la future station de la ligne 4 à la place Kálvin), les VIème, VIIème et VIIIème arrondissements lancent ensemble «le plus important programme de développement du centre-ville que la capitale ait connu». Le projet, qui promet, outre l’aménagement d’un nouveau garage souterrain et d’un parking de 1250 places, la reconstruction de 110 immeubles, 300 nouvelles chambres d’hôtel, 50 cafés et restaurants, 50 magasins et centres commerciaux, 50 établissements culturels, cabarets et théâtres, demandera, selon les estimations préalables, environ 200 milliards de forints. Le financement sera assuré, d’une part, par les ressources des arrondissements, et ,d’autre part, par des crédits de développement, des subventions communautaires et grâce à la participation d’investisseurs privés.

Le Vème reste à l’écart de cette alliance provisoire - bien que son maire appartenant au Fidesz fut invité à prendre part à «la grande déclaration» des trois arrondissements. Selon certains, le partage politique mène à la pulvérisation de la conception et des ressources. Cependant, quant au management de la ville, la capitale ne propose aucune vision globale capable d’assurer la continuité des développements. «Nous avons beau chercher la pierre philosophale, les besoins dictent quant à eux… des solutions relevant plutôt de l’acuponcture», dit Iván András Bojár, rédacteur en chef de la revue d’architecture Octogon. Cet historien d’art, qui fait partie de l’équipe du maire de Budapest, considère que le moyen le plus efficace pour attirer l’attention des promoteurs privés et des ONG sur certains lieux publics est le marketing guérilla.

Promoteurs errants

Mais c’est un coup d’épée dans l’eau. Car, en plusieurs points du centre-ville, lassés des faux-fuyants financiers et des politiques qui ne promettent que des issues incertaines, des ONG et des promoteurs immobiliers ont fait leur apparition, tels des guérilleros citadins. «Le remue-méninges organisé l’année dernière auprès des habitants du quartier en vue d’esquisser l’avenir de la place Kamermayer Károly nous a donné de très bonnes bases pour pouvoir mettre quelque chose en marche à cet endroit qui, dans son état actuel, ne ressemble guère à un espace public», c’est ainsi que Péter Gauder qualifie ce type d’initiative locale. Un autre exemple qui peut également faire la preuve de l’utilité non négligeable d’une coopération avec les citoyens est celui de la place Szervita où l’une des sociétés de développement, de gestion des patrimoines et d’investissement les plus importantes du marché de l’immobilier d’Europe centrale, Orco Property Group (basé au Luxembourg), «a osé poursuivre un rêve grandiose». Et ce avec la participation d’une architecte peu ordinaire : ils ont réussi à séduire Zaha Hadid dont la première conception n’a pourtant pas remporté un succès général. «Les discussions organisées au sujet de l’avenir de la ville par l’association Urbanissimus se sont avérées très salutaires ; grâce à elles, non seulement l’environnement direct de la place, mais aussi les attentes et les remarques des habitants concernés ont pu être pris en considération», a confié au Figyelô Erzsébet Galambos, directrice de la filiale hongroise d’Orco. Sans se laisser décourager, la société a enfin demandé à la lauréate du Prix Pritzker (le Nobel de l’architecture), de refaire les projets de l’édifice dont une partie se greffera à la place elle-même avec pour fonction de devenir une sorte de lieu de rencontre.

«Comme l’harmonisation des attentes individuelles et des conceptions du promoteur est une tâche relativement peu compliquée, chacun des projets d’investissement pourrait se permettre de faire certaines concessions même envers les habitants, si toutefois les obligations administratives étaient moins rigoureuses», explique András Elekes, directeur de la SRL de développement immobilier ING Hongrie. Selon lui, il serait plus raisonnable de dépenser la contribution culturelle obligatoire pour chaque projet d’investissement (cette somme correspondant à un certain pourcentage des frais de sa réalisation), à l’aménagement d’un vrai espace public autour de l’édifice en question plutôt que de la verser dans un fonds commun. Cela pourrait donner une motivation supplémentaire aux promoteurs qui seraient déjà partants pour partager avec la municipalité les frais des travaux de rénovation des places publiques où sont mis en œuvre leur projet.

Peine capitale

La revitalisation des fonctions des places publiques n’est pas seulement dans l’intérêt des habitants. «Les promoteurs, eux aussi, cherchent des endroits de qualité», explique Pál Baross, consultant auprès de la direction de ING Real Estate. Selon lui, les investisseurs ont depuis longtemps renoncé aux bureaux, ils concentrent davantage leurs efforts sur l’amélioration de l’offre commerciale du centre-ville. Or, les magasins de marque ou les flagship stores ne s’installent pas dans n’importe quel environnement. Selon Péter Gauder, le renforcement de la logique du développement territorial dans les corps administratifs décisifs de la capitale n’est qu’une question de temps, cependant, comme le montre l’exemple des places Kamermayer et Szervita, le partenariat est également une issue possible. «C’est ainsi que Barcelone s’est redressée », nous rappelle le président de l’association Urbanissmus qui pense que tant qu’il y a de nombreuses initiatives de ce type dans la capitale, il est plus facile de vaincre la résistance de la bureaucratie.

Csongor Csák

Traduit par Zsofi Molnár

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