Musique: Amadeus le bien-aimé à l’honneur sur les bords du Danube
Le public mélomane de Budapest connaît bien ces marathons organisés depuis maintenant plus de 10 ans, consacrés chaque année à un compositeur donné. Une initiative qui, pour notre bonheur, fait des émules, avec cette journée Mozart qui vient de se tenir dans les locaux de l’Académie de Musique (Zeneakadémia). Une journée organisée à l’initiative des membres de l’ensemble Concerto Budapest et de leur chef András Keller, à laquelle étaient associées deux autres formations: l’ensemble Orfeo et l’Orchestre de chambre Franz Liszt. Trois formations que nous avons déjà souvent eu l’occasion d’entendre et d’apprécier.
Une série de dix concerts associant divertimentos, sérénades et symphonies, concertos, musique de chambre et chant. Avec deux concerts de présentation destinés aux enfants. Parmi les intervenants étaient également venus des solistes de l’étranger. Pour notre part, compte tenu de nos disponibilités, le choix s’est porté sur les deux concerts du matin: sonates (piano, piano-violon) et concertos (flûte et harpe, cto pour deux pianos).
C’est lors de son séjour parisien, au cours de l’été 1778, que Mozart écrivit sa sonate en fa majeur. Quelques semaines à peine après le décès de sa mère. D’aucuns considèrent cette sonate (la 12ème, K332) comme sa première œuvre majeure du genre, constituant un progrès par rapport aux sonates précédentes. „Pour la première fois, Mozart parvient à exprimer ce qui ressort à la fois du plus intimement personnel de son tempérament et du plus objectif de sa vision du monde.” (Jean & Brigitte Massin). Pour notre part, sans aller aussi loin, nous y voyons surtout un Mozart sérieux et sincère qui s’offre à nous tel quel, sans fard, sans artifice. Une œuvre originale alternant constamment majeur et mineur et offrant de fréquentes ruptures rythmiques.
C’est six années plus tard (1784) que Mozart composa sa sonate en si bémol majeur pour piano et violon K454. Écrite en quelques jours, cette sonate s’inscrit dans une période où Mozart venait de remporter (enfin!) succès sur succès, alors reconnu et accepté au sein de l’aristocratie. Une œuvre parfois comparée au quintette pour piano et vents composé un mois plus tôt. Qui, par sa forme et son ambition, dépasse le cadre de la musique de salon. Œuvre fortement contrastée, du moins dans son largo initial ( normal">„succession d’accents impétueux et tendres”, J. & B. Massin).
Au piano, le Hongrois Dénes Várjon. Pour l’accompagner au violon, le Norvégien Henning Kraggerud. Deux œuvres qui, malgré leurs six années d’écart, nous semblent présenter une certaine parenté, sinon dans la forme stricte, du moins dans leur ambiance. Les associer était donc bienvenu.
Professeur à l’École normale de musique Franz Liszt, ancien élève entre autres de Kurtág, Dénes Várjon (50 ans) est bien connu du public hongrois dont il est l’une des coqueluches. Il faut dire qu’il ne manque pas de références: entre autres encouragé par András Schiff et Afred Brendel, Dénes Várjon s’est déjà produit sur les plus grandes scènes internationales (de Carnegie Hall au Konzerthaus de Vienne) et avec les meilleures formations (Academy of St Martin-in-the-Field). Malgré tout, force nous est d’avouer que, si nous l’avons entendu à plusieurs reprises au meilleur de lui-même, il nous est aussi arrivé - plus rarement, certes - de nous trouver légèrement déçus, quelque peu contrariés par un style par moments maniéré. Quant à son partenaire dans la sonate en si bémol, le Norvégien Henning Kraggerud, il n’est pas en reste. Aujourd’hui établi à Londres où il enseigne le violon, Kraggerud s’est notamment produit au Festival de Verbier en compagnie de Martha Argerich. Ce qui devrait a priori constituer une référence suffisante.
Qu’en fut-il, donc? Allions-nous retrouver le Várjon des grands jours? Des grands jours? Des très grands jours! Rarement nous l’aurons entendu si inspiré. Nous offrant un jeu sobre, d’une grande clarté, en détachant bien les notes (1). Un jeu tout en nuances et faisant bien ressortir les contrastes. Tantôt énergique (mais sans excès), tantôt au contraire tout en délicatesse. Conférant du même coup à cette sonate de jeunesse les dimensions d’une œuvre majeure. Au point que, dans le mouvement final normal">allegro assai, nous ne pouvions nous empêcher – en exagérant un peu, mais à peine – de penser à l’Appasionata. Une sonate souvent entendue, et par les meilleurs, mais rarement de façon si magistrale. De plus, jouée sur un Steinway aux sonorités chaudes.
Pour l’accompagner dans la sonate en si bémol, un Kraggerud au violon offrant un son doux et fin, agréable à l’oreille. Seule petite réserve: un jeu par moments couvert par le piano. Mais, dans l’ensemble, ce fut également une fort belle interprétation.
Composé, comme la sonate en fa, en 1778 (2), le délicieux concerto pour flûte et harpe fut écrite simultanément avec sa première symphonie concertante (flûte, hautbois, cor, basson). Au point que certains prétendent y voir une analogie. Une œuvre souvent qualifiée de „galante”. Terme que nous réfutons s’il est à prendre au sens d’une œuvre qui serait somme toute mineure. Car, avec ce concerto, le jeune Mozart (22 ans) nous aura sans nul soute laissé l’une des plus charmantes parmi ses œuvres concertantes. Au terme de galanterie, nous préférons parler d’élégance et de raffinement. Voire de tendresse dans ce gracieux dialogue entre les deux solistes que nous offre le mouvement central (andantino).
Le concerto pour deux pianos (K365) fut composé quelques mois plus tard, juste après le retour de Mozart à Salzbourg. Écrit dans un cadre purement familial, étant destiné à être joué par sa sœur Nannerl en association avec lui-même. Par rapport au concerto pour trois pianos écrit deux ans plus tôt, un progrès se fait sentir, les pianos offrant cette fois un véritable dialogue, dialogue auquel vient se joindre l’orchestre dans le rondo final. (Rondo qui reprend le thème d’une ariette française, petit clin d’œil à sa sœur, férue de mode parisienne (3).)
Á la harpe et à la flûte: Andrea Vigh et Orsolya Kaczander. Aux pianos: Dénes Várjon et Izabella Simon. Accompagnés par le Concerto Budapest, placé sous la direction de son fondateur András Keller.
La harpiste Andrea Vigh n’est plus à présenter en Hongrie. Rectrice de l’Académie de musique Franz Liszt (équivalent de notre Conservatoire national), elle est titulaire de nombreux prix et se voit régulièrement invitée dans les jurys de concours internationaux. Peut-être moins renommée, la flûtiste Orsolya Kaczander n’en dispose pas moins de bonnes références. Ce qui laissait a priori présager d’une belle exécution de ce concerto. „A priori”, car tel ne fut pas réellement le cas. Déception d’une interprétation dont nous attendions tant. Il est vrai gâté par des enregistrements de qualité (Laskine-Rampal!). La faute – si tant en est que de faute on puisse parler – en incombe à la harpe. Par moments noyée dans l’orchestre, offrant une sonorité étouffée. Est-ce l’acoustique? Toujours est-il est que notre impression était d’assister à un concerto pour flûte avec accompagnement de harpe. Le charme était rompu, dommage!
Mais la suite allait largement nous gratifier.
Pour le concert à deux pianos, Dénes Várjon était associé à son épouse Izabella Simon. Partant, une parfaite entente, pour ne pas dire complicité, entre les deux solistes. Nous avions parlé plus haut de dialogue. Effectivement, ce fut bel et bel bien un dialogue, auquel nous assistions ce matin. Dialogue par moments empreint de délicatesse, voire d’une légère et discrète touche de tendresse. Une œuvre qui, de façon inattendue, débute sur des accents solennels, presque grandiloquents. Mais une solennité vite oubliée par la suite, notamment dans le rondo final, enchaîné sur un allegro vif, au ton fraîchement juvénile, enjoué, espiègle. Ce qu’ont parfaitement rendu les interprètes, du moins du côté du couple des solistes, l’orchestre nous ayant paru très légèrement en retrait, presque effacé par moments (sinon dans le mouvement final). Plus un duo de pianos sur fond d’orchestre qu’un véritable concerto. Mais après tout, peut-être Mozart le voulait-il ainsi. En tous les cas, un brillant duo qui nous aura séduits.
Dans l’ensemble, une belle matinée. Rien de tel pour vous requinquer en ces dimanches brumeux de fin d’hiver. Mozart: le meilleur des remontants, à consommer sans modération!
Pierre Waline
(1): On sait que Mozart, à la différence de Beethoven, avait un jeu normal">staccato, c’est-à-dire en détachant les notes.
(2): sur une commande du Duc de Guines, lui-même flûtiste, pour sa fille harpiste, élève de Mozart. Commande que le duc oublia de régler...
(3): version contestée par certains qui y retrouvent un chant populaire allemand, par ailleurs également utilisé par Haydn et Beethoven.
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