Monologues de l’âme

Monologues de l’âme

Les livres du JFB

Après avoir dévoré Le Faon lors de sa parution en 1959, Hermann Hesse, grand écrivain suisse allemand, s’était exclamé : «Avec Frau Szabó, vous avez pêché un poisson d'or. Achetez toute son oeuvre, ce qu'elle a écrit et ce qu'elle écrira».

C’est donc en toute logique que, lectrice charmée par La Ballade d’Iza, je me suis précipitée sur Le Faon, dont la traduction française date de janvier dernier seulement ! J’y ai retrouvé avec plaisir le style littéraire qui m’avait tant charmée dans La Ballade d’Iza.

Et pourtant… Le Faon n’est pas un roman facile. Au départ, le lecteur est perdu : il ne sait pas de qui on parle, à quelle époque on est. Le texte paraît confus dans les dates, les personnages, les sentiments. Perplexe, le lecteur doit s’accrocher : comme il est difficile de suivre les pensées du narrateur, Eszter, de suivre ses monologues intérieurs, son délire incohérent ! L’appréhension de la personnalité d’Eszter demande un véritable effort. Car ce texte raconte «la vie intérieure», le ressenti avec toutes les pensées, les souvenirs qui se télescopent, se surajoutent dans un esprit qui bouillonne et cherche à faire le lien.

Quand enfin on comprend, quel bonheur, quel talent !

Eszter est profondément jalouse et elle s’en confie à son amant. Sous sa logorrhée se cache en fait une introspection formidable de clairvoyance.

Certes, le roman est noir. On descend dans les tristes bas-fonds de l’âme. Eszter n’est pas aimable, elle est détestable et cela en est gênant voir dérangeant car en lisant son monologue on se trouve dans sa peau et on en ressent d’autant plus fortement ses humeurs noires.

Certes, il règne à nouveau dans ce roman une étrange pesanteur. La tension est palpable.

Mais malgré tout, on s’accroche et on s’émeut. Et à mesure que le narrateur se confesse et se libère, elle nous emporte dans son monde de rancœur et dans son drame personnel.

Eszter aime un homme qui a épousé la bête noire de son enfance, la belle et gentille Angela. Découvrir qu’Angela, l’ancienne petite fille trop parfaite de son village natal, est l’épouse de l’homme qu’elle aime, fait renaître et exacerbe les frustrations de son enfance. Car elle symbolise tout ce que Eszter petite fille n’a pas connu et n’a pas été. Elle lui faisait tellement envie avec son faon apprivoisé, gambadant à petites foulées paradisiaques dans l'enclos derrière sa maison... «Si elle (Angela) venait me voir, ce qui était rare, je ne pouvais me dispenser de lui offrir quelque chose à boire, mais je cassais toujours sa tasse ou son verre après son départ. Son contact, son haleine, sa démarche, son foulard, tout évoquait mon passé et le tien (le passé du mari d’Angela et de l’amant d’Eszter). Elle avait eu un ballon rayé, tu étais tombé amoureux d’elle et l’avais épousée. Elle avait eu un faon et tu avais couché avec elle.»

De ce fait, Esther aime et déteste en même temps cet amant si attachant dont l'amour lui est entièrement destiné mais qui demeure très attentionné pour son épouse, par devoir certainement mais pas seulement. En réalité, c’est un véritable drame cornélien qui se noue ici : «Je ne pouvais pas vivre avec Angela (dit Eszter), or, en vivant avec toi (le mari d’Angela et l’amant d’Eszter), il m’aurait fallu vivre avec elle.»

Encore une fois, Magda Szabó nous émerveille par son talent à décrire les relations humaines, les sentiments de haine et de jalousie, et par sa capacité à percer aussi bien les consciences.

Le Faon est un livre qui se mérite mais qui récompense tellement que je vous en recommande vivement la lecture !

Clémence BRIERE

Le Faon, Magda SZABÓ- 237 pages

Editions Viviane Hamy, janvier 2008

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