«Mémoire de conversations»
La deuxième génération
Deux galeries d’art à Budapest ont accueilli les artistes de la deuxième génération, enfants des survivants de l’Holocauste. Peintres et sculpteurs venant d’Israël et de Hongrie s’expriment, transmettant le souvenir des parents et grands-parents après tant d’années. On croirait que l’iconographie est codifiée, mais il y a une grande variété d’approches allant du dessin à l’art vidéo.
La Galerie 2 B et Manna Gallery exposent comme en écho des artistes qui se posent les mêmes questions : comment peut-on affronter les traumatismes des familles à travers plusieurs générations, faut-il enterrer ou non les souvenirs ? Nous avons rencontré les commissaires des expositions Batya Brutin et Katalin S. Nagy. Une fondation destinée au dialogue pour la tolérance a été créée avec d’éminents intellectuels hongrois pour une confrontation avec le passé au niveau européen. Avec l’Allemagne ils ont notamment une coopération et ils prévoient prochainement aussi des échanges avec la France. La Fondation vise les décideurs politiques et les jeunes et leur permet ainsi de connaître et choisir librement leur identité. C’est dans cet esprit qu’ils ont contribué aux deux expositions.
Dans une cave quelque part en Europe centrale « nous nous trouvions transplantés, unis par la parenté de la peur», a écrit Charles Dobzynski dans son Couleur Mémoire. Cette image réapparaît dans les vers de Pierre Diener : «Dix-sept personnes dans la cave sombre/dont les murs sont bariolés par l’humidité, dix-sept Juifs .... / A la lumière d’une bougie». On dirait un tableau de Rembrandt . Dans ce livre émouvant et révoltant à la fois, L’enfant et le génocide, récemment publié par Robert Laffont, on retrouve ces vers dans les écrits de Danilo Kis et de Imre Kertész. Cela donne l’arrière-fond littéraire des oeuvres exposées puisant dans l’héritage tragique centre-européen.
C’est ainsi que l’artiste Gábor Roskó a décidé librement de s’identifier à l’héritage culturel juif. Son tableau exposé s’inspire du sort tragique de l’écrivain et peintre célèbre de la Galicie, Bruno Schulz, abattu en pleine rue par un officier de la Gestapo peu avant la libération.
Il se trouve - je l’ai appris par hasard - que c’est dans la rue de la galerie, la rue Ráday, que les pa-rents de Roskó ont sauvé enfants et familles dans la cave de leur immeuble avec le consentement de tous les habitants et l’aide du concierge ! Le tableau reproduit de Roskó est à la une du dernier numéro de l’hebdomadaire littéraire hongrois Elet és irodalom avec beaucoup d’autres illustrations et le texte de Katalin S.Nagy qui y évoque tous ces artistes qui souvent après avoir découvert leur identité - un sujet tabou dans la famille - essaient de comprendre. Il s’a-git souvent de familles typiques d’Europe centrale ou des pays environnants, familles caractérisées par la diversité de leurs origines, cultures et identités qui ont enrichi la culture jusqu’à l’arrivée des nazis.
On découvre donc des pages de la Bible judaïque et chrétienne dans les toiles de Katalin Mózes qui sont hautement symboliques pour le passé douloureux. On découvre 11 confessions dans le catalogue bilingue des artistes. On peut voir aussi dans la vidéo de János Szirtes les changements d’expression d’un visage écoutant l’histoire cachée de sa famille. Il y a du surréalisme, de l’hyperréalisme et de l’art conceptuel dans les deux expositions. Souvent on retrouve les motifs de la “Shoah” sans pour autant qu’ils ne deviennent un lieu commun. Ainsi, un long rouleau de 13 mètres - le format de la Thora - nous plonge-t-il dans le surréel : l’artiste András Böröcz trouve un objet qui incarne sous des formes variées le personnage principal qui va tout droit derrière les fils barbelés du camp de concentration ; c’est tragique et grotesque à la fois. Tragique et grotesque à la fois, la porte du camp photographiée et peinte par Nechama Golan avec des lettres hébraïques : « Aime ton prochain ! ». Tragique le «Drapeau» Il y a une variation très riche, parfois abstraite, des motifs du deuil et ceux d’une patrie perdue pour toujours en Europe centrale.
Éva Vámos
Galerie 2B, 1092 Budapest, Ráday utca 47 du lundi au vendredi de 14h à 18h, le samedi de 10h à 14h jusqu’au 14 juin.
MANNA Gallery, 1061 Budapest, Székely Mihály utca 16, du mardi au vendredi de 14h à 18h jusqu’au 30 mai.
Livres de référence : Charles Dobzynski, Couleur Mémoire, Prologue de Miguel Angel Asturias, Ed. Français Réunis, 1974
L’enfant et le génocide, textes choisis ; annotés et présentés par Catherine Coquio et Aurélia Kalisky, Robert Laffont, 2007